Un boulevard tout-piétonnier est dépassé

Un boulevard tout-piétonnier est dépassé

La « phase test » du piétonnier se clôture ce 29 février. Quelques (re)considérations s’imposent. Points de vue de chercheurs et urbanistes étrangers pour éclairer et objectiver le débat ! (synthèse de la journée d’étude du 20 novembre 2015)

Le projet de la Ville de Bruxelles en a déroutés plus d’un. La société civile et les habitants du centre-ville en particulier, tant sur la méthode d’élaboration (ne laissant aucune place à la participation pour définir les fondements, objectifs et moyens d’un tel projet), que sur la forme urbaine d’un piétonnier, qui pourrait s’avérer simpliste et dépassée, à l’heure où toutes les grandes agglomérations développent des espaces publics partagés et des zones à trafic limité (en renforçant prioritairement les transports en commun), et de moins en moins de zones exclusivement piétonnes (une tendance des années 1980).

Si la volonté affichée de réduire la pression automobile est une avancée non négligeable, le choix de la Ville de Bruxelles a donc surpris les nombreux Bruxellois qui réclament depuis des années un réaménagement des boulevards du centre. On attendait a priori de la Ville non pas une « zone  piétonne » circonscrite au seul boulevard Anspach, mais un réaménagement complet et cohérent de tous les boulevards, du Midi à Rogier qui s’inscrive dans le Plan communal de Mobilité approuvé en 2010 et qui avait fait l’objet d’études et de concertations ad hoc. Pourquoi un tel décalage entre les aspirations des habitants et le  projet de la Ville de Bruxelles ?

A défaut d’un débat public et de communication sereine avec les responsables bruxellois sur le principe même de « plus grand piétonnier d’Europe », l’ARAU avait donc choisi d’organiser le 20 novembre 2015 une journée de présentations et de discussions avec des chercheurs et urbanistes étrangers, qui a rassemblé plus d’une centaine de participants. Sollicité, le Ministre bruxellois de la mobilité, Pascal Smet, a refusé son soutien à cette activité.

Conclusion de l’ARAU – L’inclusion et la mixité des usages sont les piliers de la centralité

Au terme de cette journée d’études, l’ARAU réaffirme l’importance de la centralité : le centre de la ville doit être habitable, et ce qui est bon pour les habitants est bon pour les touristes.

Dans cette perspective, des aménagements différenciés ne sont pas souhaitables, le fonctionnalisme a vécu. Tout urbaniste sait que les aménagements basés sur l’exclusion (de la voiture rue Neuve, de l’habitat dans le quartier Nord ou dans le quartier européen, du commerce dans les lotissements,…) sont la négation même de la ville car ils empêchent la coexistence et la diversité.

Le principe des piétonniers est issu d’une réaction des commerçants aux premiers centres commerciaux construits en périphérie des villes. Les commerçants ont demandé aux autorités des villes de reproduire les aménagements des centres commerciaux : des espaces publics dédiés au commerce, sécurisés par l’absence de voitures, spécialisés par des matériaux différenciés, colorés, par exemple, un aménagement de plain-pied, des bacs à plantes, voire de la musique, comme dans un intérieur… Cette approche, typique des années 1980, a accéléré le dépeuplement des centres-villes.

Nos intervenants ont bien montré comment aujourd’hui la clé de l’aménagement des villes repose avant tout sur la mixité des usages. Il faut réduire la place de la voiture (ce qui ne signifie pas l’exclure partout ou tout le temps), grâce à une gestion efficace du stationnement et à un renforcement de l’offre de transports publics. Après 25 ans de paradigme de la fluidification du trafic et de l’accessibilité à tout prix, la Région, qui continue de voir la classe moyenne quitter son territoire, doit maintenant mettre en œuvre les objectifs de réduction globale de la circulation automobile et des nuisances afférentes. Dégager partout l’espace des voitures et pas seulement l’hyper-centre, permettre d’habiter, de travailler, de sortir dans un espace des courtes distances. Voilà l’objectif, idéalement dans tous les quartiers. Il importe de réduire la vitesse et le bruit et de faciliter la vie des cyclistes, grand oubliés des aménagements.

Pour des raisons environnementales, 38 villes en Italie ont introduit des politiques de restriction de la circulation automobile mais restent ouvertes aux riverains. Les zones à trafic limité, l’espace partagé, la gestion dans le temps,… nous paraissent des options plus appropriées que l’exclusion.

La journée d’études a aussi permis de réaffirmer que la vitalité urbaine ne se décrète pas et qu’il faut tenir compte des besoins des acteurs qui font la ville, en premier lieu habitants et commerçants. Avant tout, les associations ont contesté le fait que la Ville de Bruxelles impose unilatéralement la piétonisation, sans étude d’incidences et sans enquête publique, plutôt que de remettre sur le métier le Plan communal de Mobilité de 2011. La démocratie suppose une capacité à discuter aussi avec ceux qui ne sont pas d’accord avec vous.