Bruxelles : une ville de citoyens ou une mosaïque de communautés?

Bruxelles : une ville de citoyens ou une mosaïque de communautés?

35e Ecole urbaine de l’ARAU – 22-26 mars 2004

Dans un pays marqué par une conception de plus en plus communautariste de l’organisation de la société, aborder le thème de l’intégration (peut-être serait-il temps d’appeler les choses par leur nom !) peut remettre en question un certain nombre d’habitudes et de pratiques tant dans le monde associatif que dans la classe politique et que poser en termes concrets et pratiques, le thème de l’intégration bouscule un certain nombre de clivages socio-politiques classiques faisant même parfois émerger des alliances surprenantes entre tendances politiques ou philosophiques jusqu’alors opposées.

Une certitude cependant nous a conduit à persévérer dans notre entreprise : l’importance et l’urgence d’un réel débat sur ce thème. D’un débat qui remette en cause la langue de bois multiculturaliste qui comme le rappelle Pierre André Taguieff, « consiste pour l’essentiel à réethniciser l’espace social, à en égaliser la fragmentation, à en abandonner la gestion aux dirigeants communautaires ou identitaires. »

Ce débat qui ne parvient pas à émerger, dont le professeur Felice Dassetto affirme qu’il est même inexistant, nous paraît pourtant répondre à deux nécessités démocratiques élémentaires et convergentes. Deux nécessités qui ne sont que l’expression d’un réalisme et d’une lucidité politique qu’il est irresponsable d’ignorer : la première est la reconnaissance claire et définitive du fait même de la présence dans notre pays et dans nos villes d’une importante population d’origine étrangère dont il convient de reconnaître la diversité ; la seconde, non moins importante, doit reconnaître et tenter de comprendre les résistances et les difficultés que cette nouvelle réalité sociologique a fait naître dans une part importante de la population belge et en particulier dans les couches les moins privilégiées de cette population.

Deux mondes à divers titres parallèles et pourtant étrangers l’un à l’autre sont ainsi mis en présence sans que les rouages institutionnels traditionnels aient pu tenter « d’arrondir les angles » d’une concurrence sociale qui contient en elle-même les germes de prévisibles affrontements. L’école, incapable de s’adapter aux réalités sociologiques et politiques est moins que jamais un outil d’intégration et poursuit sans le dire une politique d’apartheid qui accentue les discriminations au lieu de les réduire ; l’absence de travail rend la compétition sur le marché du travail de plus en plus âpre et le monde du travail a de plus en plus de peine à être un lieu d’intégration et de « camaraderie laborieuse » ; le service militaire qui aurait pu rapprocher ces mondes parallèles a disparu et les corps intermédiaires, associations et groupements divers, peinent à sortir d’une vision communautariste de la société quand ils n’en sont pas tout simplement les principaux propagandistes.

Comment dès lors ne pas reconnaître l’importance et la vertu pédagogique d’un débat qui aborderait de manière sereine et rationnelle cette réalité dont la complexité est chaque jour plus grande et dont les conséquences seront à terme de moins en moins maîtrisables ?

En l’absence de ce débat, en l’absence d’acteurs sociaux acceptant d’en poser les enjeux dans un langage clair refusant la langue de bois, les discours incantatoires sur les bienfaits de la multiculturalité et les accusations culpabilisatrices à l’égard de ceux qui peinent à accepter que le voile soit un instrument d’émancipation des femmes, on laisse le champ libre à toutes les dérives et à des manipulations dangereuses jamais exemptes de préoccupations d’ordre électoralistes ou religieuses.

Le philosophe iranien Daryush Shayegan rappelait en août 2003 dans un article paru dans le Nouvel Observateur que « pour que l’individu soit en mesure de s’épanouir, il faut que, paradoxalement, l’homme puisse vivre dans un milieu sécularisé, sous le férule d’un État de droit, à même de le protéger contre les deux fléaux de notre temps : la violence des régimes répressifs et la violence non moins coercitive du sacré qui, lui, resurgit du fond des âges. ». Nous pensons qu’en retardant ou en biaisant un débat ouvert sur la question de l’intégration, on met, à terme, en cause cette autorité de l’État de droit et on diffère inutilement la définition de cette férule qui, avant d’être un instrument coercitif, est la plus sûre protection que l’État à le devoir d’offrir à tous les citoyens et aux plus faibles d’entre eux en particulier.

Sommaire

  • Préface, par Marc Frère
  • Histoire d’intégration et conception d’intégration, par Andréa Rea
  • Critique du communautarisme : le communautarisme est-il contre l’esprit des Lumières ?, par Didier Lapeyronnie
  • De la « communauté rifaine » à la « communauté dans le quartier », par Fabienne Brion
  • Construire la solidarité en actes : assurer une coexistence citoyenne d’habitants d’origines diverses dans la ville, par Bernard De Vos
  • La laïcité, condition nécessaire de l’intégration, par Vincent de Coorebyter
  • L’expérience du SAS, par Maurice Cornil
  • L’expérience du mouvement « Ni putes, ni soumises », par Samira Cadasse