Plaidoyer pour un tram est-ouest à travers le Pentagone

Plaidoyer pour un tram est-ouest à travers le Pentagone

Le projet régional de tramification de la ligne de bus 95 doit être complété par ce « chaînon manquant », inscrit dans les plans stratégiques de la Région il y a plus de 25 ans, et qui permettra de mieux connecter le centre-ville aux autres quartiers de Bruxelles

Assurer un meilleur accès aux différents quartiers et services de la ville passe par le développement d’un réseau de transports en commun mieux maillé (plus dense), offrant plus de liaisons directes (moins de correspondances) et des fréquences élevées. C’est à ces conditions que les transports en commun pourront réellement assurer leur mission de service public en tenant mieux compte des intérêts de tous les usagers et de l’évolution des pratiques de mobilité.
La proposition de création d’une ligne de tram 95 traversant le Pentagone s’inscrit dans ces objectifs, défendus par l’ARAU depuis des dizaines d’années.

L’accord de majorité régional prévoit la tramification de la ligne de bus 95, l’une des plus fréquentées de Bruxelles, qui relie notamment le centre-ville au quartier de l’ULB et de la VUB. Mais tout laisse penser que la ligne 95 serait scindée en deux parties (Watermael-Boitsfort – gare d’Etterbeek et gare d’Etterbeek – centre-ville). La tramification ne doit pas se limiter à un court tronçon mais, au contraire, être prolongée à travers le Pentagone et au-delà. Il est important de réduire les correspondances au minimum : elles entraînent en effet des pertes de temps, qui comptent souvent pour une partie significative de la durée des trajets (particulièrement en-dehors des heures de pointes), et se révèlent pénibles, voire rédhibitoires pour les personnes à mobilité réduite qui représentent plus de 30 % de la population.

Une ligne de tram est-ouest à travers le Pentagone : l’idée n’est pas neuve mais elle reste parfaitement d’actualité

De par la topographie et l’histoire du Pentagone, ce sont les axes nord-sud qui ont été privilégiés pour la circulation des transports en commun. La création des boulevards du centre, les constructions des gares du Midi et du Nord et le long creusement de la jonction Nord-Midi ont très fortement conditionné le développement des transports publics.

On compte quatre « grands » axes de transports en commun nord-sud qui traversent le Pentagone de part en part : la jonction ferroviaire Nord-Midi, le prémétro (où circulent actuellement les trams 3 et 4 et dont la « métroïsation » est prévue pour 2025), l’axe rue Royale – rue de la Régence (trams 92 et 93) et l’axe formé par les rues d’Anderlecht, Van Artevelde, des Poissonniers, de la Vierge Noire et de Laeken (bus 46).

 

Dans les années 1990-2000, la création d’une ligne de tram est-ouest traversant le Pentagone est très sérieusement envisagée. A la fin des années 1990, un projet est proposé par Olivier Colla, Frédéric Dobruszkes et Benoît Moritz : Pour l’aménagement d’une liaison tram Est-Ouest dans le centre-ville de Bruxelles (août 1999). Leur proposition s’appuie sur la volonté de la Région de créer une telle ligne, ou du moins d’en étudier la possibilité, comme en atteste son inscription dans le Plan Régional de Développement (PRD) de 1995 et dans le Plan Régional de Mobilité IRIS de 1998.

En 2002, l’étude d’une ligne de tram est-ouest dans le Pentagone fait toujours partie des plans de la Région, puisqu’elle est inscrite dans le nouveau PRD adopté cette année-là. Toujours en 2002, une étude commandée par la Région est publiée au mois de décembre. Menée par les bureaux d’études Groep Planning et Tritel, elle porte sur l’accessibilité du Pentagone en transports en commun et plus spécifiquement sur comment réaliser une liaison est-ouest en tram.

En vert, le tracé retenu par Groep Planning et Tritel. Il est presque parallèle à celui de l’axe du métro (lignes 1 et 5), en pointillés noirs, ce qui pourrait constituer un « double emploi » et offrir une moins bonne couverture géographique que la proposition de Colla, Dobruszkes et Moritz.

 

En 2009 l’idée refait surface à travers la Cityvision, plan de restructuration du réseau de la STIB développé par les experts en mobilité Luc Lebrun, Vincent Carton, Michel Hubert et al., soutenus par une large coalition d’associations et de comités.

Le diagnostic sur lequel se sont basés les plans stratégiques régionaux des années 1990-2000, les études de bureaux spécialisés et celles d’experts en mobilité est toujours d’actualité : la desserte est-ouest du Pentagone manque de densité. Les modifications opérées en 2015 avec le plan de circulation autour du piétonnier ont détérioré la situation. Le plan bus, actuellement en cours de déploiement, propose certes des améliorations mais elles sont minimes et sans commune mesure avec la création d’une ligne de tram bien plus structurante et capacitaire que des lignes de bus.

Les avantages d’une ligne de tram est-ouest ont été bien exposés dans l’étude de Colla, Dobruszkes et Moritz, dans celle de Groep Planning et Tritel et dans la Cityvision. On retiendra principalement qu’une telle ligne permettra :

  • de mieux connecter l’est (haut) et l’ouest (bas) du Pentagone ;
  • d’offrir plus de liaisons directes entre le centre-ville et les autres quartiers de la Région, particulièrement depuis/vers l’ouest où de nombreux quartiers très densément peuplés n’ont pas d’accès directs au centre-ville hormis le métro ;
  • de délester l’axe du métro 1-5 en offrant un tracé « parallèle ».

On peut également ajouter que des lignes traversantes ont pour avantage, contrairement au lignes qui aboutissent dans le centre, de ne pas nécessiter l’organisation des terminus dans des quartiers densément bâtis où les voiries sont souvent étroites.

S’il fallait retenir un tracé parmi tous ceux qui ont été étudiés, la version « Sablon » de Colla, Dobruszkes et Moritz semble la plus intéressante. D’une part, c’est la plus éloignée de l’axe du métro 1-5, ce qui évite un éventuel « double emploi » et ce qui offre une meilleure couverture géographique. D’autre part, c’est le tracé qui correspond le mieux à l’actuel itinéraire du bus 95 dont le projet de tramification est inscrit dans l’accord de majorité régional.

Pour permettre la liaison avec la rue du Trône, ce tracé devra être complété par la création de voies sur la place des Palais et la rue Ducale, comme proposé dans la Cityvision. Cette installation de rails de tram serait en outre l’occasion de rénover cet espace public qui n’a aujourd’hui de place que le nom et où la voiture domine totalement.

La variante « Sablon » du tracé le Colla, Dobruszkes et Moritz reprend une bonne partie de l’itinéraire actuel du bus 95 (en pointillés bleus) et est plus éloigné de l’axe métro 1-5 que d’autres propositions ou variantes.

 

Créer plusieurs longues lignes de tram plutôt qu’une seule ligne de métro

L’ARAU a, à de multiples occasions, démontré les graves défauts du projet de métro Nord : réorganisation du réseau lésant de nombreux usagers, lourdeur et lenteur d’exécution des chantiers, monopolisation des moyens (financiers mais aussi humains) de la Région , etc.

Les chantiers pour la « métroïsation » du prémétro Albert – gare du Nord sont en cours, mais l’extension vers Schaerbeek et Evere (bien plus onéreuse !) n’a pas démarré. Il est donc encore temps d’abandonner ce projet et d’opter pour des solutions plus rapides à mettre en œuvre et incommensurablement moins chères.

Au-delà du cas particulier du métro Nord, c’est la vision politique sur le développement et l’organisation du réseau de transports en commun qui doit changer. Certes, la ministre de la mobilité Elke Van den Brandt répète régulièrement que la Région développe à la fois des projets de nouvelles lignes de tram et le métro Nord. Mais le budget de celui-ci (près de 2 milliards) permettrait de créer une vingtaine de nouvelles lignes de tram, autrement dit de doubler le réseau existant : de quoi radicalement changer le visage de Bruxelles !

Il y a donc bien un choix, politique, à faire entre deux visions.

  • D’une part, celle de la STIB, consistant à renforcer uniquement certains axes, typiquement dans une optique de trajets domicile-travail aux heures de pointes. Cette vision est dépassée : de plus en plus de déplacements sont réalisés en-dehors des périodes de pointe (et pour d’autres motifs que le travail). En outre, le recours accru au télétravail pourrait sensiblement modifier les habitudes de déplacement.
  • D’autre part, la vision soutenue par la majorité des experts bruxellois et les associations, consistant à créer un réseau mieux maillé (plus dense), offrant plus de liaisons directes (moins de correspondances) et des fréquences élevées. Soit une organisation des transports en commun tenant mieux compte des intérêts de tous les usagers et de l’évolution des pratiques de mobilité.

L’ARAU exhorte la Région à choisir la deuxième option, en phase avec le monde d’aujourd’hui et de demain.
Il faut donner un coup d’accélérateur au projet de tramification du bus 95 et prolonger cette nouvelle ligne de tram à travers le Pentagone !