La Région doit profondément revoir l’encadrement de la politique immobilière de la Commission européenne, qui vient d’annoncer une considérable réduction de ses besoins de bureaux

La Région doit profondément revoir l’encadrement de la politique immobilière de la Commission européenne, qui vient d’annoncer une considérable réduction de ses besoins de bureaux

Ce 27 avril, l’Echo rapportait que « La Commission européenne va quitter la moitié de ses bâtiments » (précision : il est uniquement question des immeubles de bureaux, pas du parc immobilier total), soit une réduction de 50 à 25 bâtiments en Région bruxelloise (plus aucune implantation en dehors du quartier européen et de Rogier) ; exprimée en superficie, cette réduction représenterait 200.000 m² (de 780.000 m² à 580.000 m²).
Cette information mérite bon nombre de commentaires.

La volonté de la Commission européenne de « rationnaliser » ses implantations à Bruxelles n’est pas neuve

L’idée de se recentrer sur le quartier européen, dans un plus petit nombre de bâtiments plus grands, est officiellement communiquée dès 2007, même si deux autres stratégies sont alors également envisagées (pour le détail, lire notre analyse Politique immobilière de la Commission européenne du 15 octobre 2013).
Force est de constater que, pour l’instant, cet objectif est très loin d’avoir été atteint.

Cette volonté de la Commission européenne est à l’origine des plans successifs de la Région pour « transformer » le quartier européen. La Région adopte un schéma directeur (2008) puis le Projet Urbain Loi (PUL, 2010) traduit sous la forme réglementaire d’un Règlement Régional d’Urbanisme Zoné (RRUZ, 2014) qui doit notamment permettre à la Commission européenne de construire un « bouquet » de tours de bureaux sur l’îlot dont elle est propriétaire rue de la Loi (îlot 130 appelé aussi îlot B).

Mais le RRUZ est annulé par le Conseil d’Etat en 2019. La Région, qui a anticipé cette annulation, lance entretemps l’élaboration d’un Plan d’Aménagement Directeur (PAD) en 2018 qui reprend, dans les grandes lignes, le principe des plans précédents de « densification verticale » (érection de tours). Ce PAD a fait l’objet de très nombreuses critiques (voir entre autres notre analyse PAD Loi : la Région impose aux Bruxellois un urbanisme dépassé) ; il n’a pas encore été adopté et il devra très certainement faire l’objet d’une nouvelle enquête publique.

Parallèlement au développement du PAD, la Commission européenne lance un concours d’architecture pour la démolition-reconstruction de l’îlot 130 afin d’y doubler ses superficies de bureaux (de 98.000 à 200.000 m²).

En juillet 2019, l’ARAU écrit à propos de ce projet : « Avec ce projet « Loi 130 », la Commission européenne fait fausse route. Un projet monofonctionnel (les 3.000 m² de commerces et les 2 crèches prévus sur un total de près de 200.000 m² n’en font pas un projet mixte) sous forme de deux tours de 114 et 165 mètres (!) va à l’encontre des principes d’une ville durable à échelle humaine, en totale déconnexion des réalités du territoire et de l’histoire de Bruxelles. »
Ce projet semble pour l’instant en stand-by, ce qui n’empêche pas la Commission de se lancer dans d’autres opérations immobilières rue de la Loi.

La Commission européenne cautionne les mauvaises pratiques urbanistiques du gouvernement bruxellois

Juste en face de l’îlot 130, la Commission européenne a récemment signé un contrat avec le promoteur Atenor pour l’acquisition d’un nouveau centre de conférences dans le projet de tour de bureaux « Realex » (128 mètres !) dont la demande de permis a été soumise à la commission de concertation le 20 janvier (l’avis n’a pas encore été publié).

Or, ce projet est en totale dérogation avec le cadre réglementaire en vigueur et a bénéficié, jusqu’à présent, d’un « traitement de faveur » de la part du gouvernement régional (voir nos analyses Accorder un permis au projet de tour Realex rue de la Loi serait un acte arbitraire méprisant la participation citoyenne et la concertation, et balayant la réglementation urbanistique et Far We(s)tstraat : qui fait la loi rue de la Loi ?)

Au mois de février nous écrivions à ce propos : « La Commission européenne ne peut pas ignorer ce dans quoi elle s’engage en signant ce contrat. Elle ne bénéficie déjà pas d’une bonne image auprès de nombreux Bruxellois de par la manière dont elle mène sa politique immobilière ; la signature de ce contrat risque d’aggraver son image du côté des citoyens européens. La Commission européenne doit se ressaisir : son devoir d’exemplarité doit l’obliger à annuler ce contrat. »

Un risque de voir gonfler le stock de bureaux vides

La tendance générale est à la diminution du stock de bureaux à Bruxelles : les projets de reconversion d’ensembles tertiaires en ensembles mixtes (avec logements, commerces, équipements collectifs…) se sont en effet multipliés ces dernières années.

Pour autant, la réduction de 200.000 m² des superficies de bureaux de la Commission européenne ne dit rien sur une bonne partie de l’avenir des bâtiments. En d’autres mots, il n’existe à ce jour aucune garantie que les immeubles quittés par la Commission européenne seraient reconvertis pour en faire, par exemple, des logements. Ces 200.000 m² pourraient donc venir gonfler le stock de bureaux vides qui risque par ailleurs de s’accroitre fortement si le recours généralisé au télétravail venait à se pérenniser (ce que beaucoup prédisent).

Parmi ces 200.000 m², 80.000 font toutefois l’objet d’un projet de plan. En effet, le site Beaulieu fait partie du périmètre du projet de PAD Herrmann-Debroux mais ses prescriptions, en l’état actuel, permettraient d’y maintenir jusqu’à 80% de superficies de bureaux ! Concernant les 120.000 m² restants, il n’existe pas, à notre connaissance, de projets de plans visant à encadrer leur reconversion…

Plus de concentration = moins de mixité dans le quartier européen

Une des principales intentions affichées du PAD Loi est la réintroduction de logements dans le périmètre, mais cet objectif risque de rester un vœu pieux. Dans les faits, la possibilité de voir les superficies de bureaux augmenter est bien réel : si les projets « Loi 130 » de la Commission et « Realex » du promoteur Atenor venaient à se réaliser, s’ajoutant ainsi à la tour « The One » (déjà réalisée par le même promoteur), ce seraient des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux supplémentaires qui verraient le jour rue de la Loi, sans qu’aucun logement ne soit créé ! La Région peut certes arguer que les prescriptions du projet de PAD prévoient du logement dans les autres îlots de la rue de la Loi, mais rien ne permet de garantir qu’ils voient le jour puisque les éventuels projets dépendent de la volonté d’acteurs privés…

Conclusion : la Région doit changer de stratégie pour répondre aux intérêts des Bruxellois

Depuis plus de 15 ans, la Région s’est engagée à répondre aux desiderata de la Commission européenne, faisant peu (voire aucun) cas des intérêts des habitants. La réduction des besoins en bureaux de la Commission n’est pas synonyme d’une réduction de leur concentration, qui pourrait même être intensifiée rue de la Loi  : cette concentration n’est pas justifié et elle menace de rendre le quartier encore moins habitable qu’aujourd’hui.

La Commission européenne, qui a récemment lancé des discussions pour concevoir un « nouveau Bauhaus européen » doit faire preuve d’exemplarité. Au lieu de réclamer la concentration de tours monofonctionnelles de bureaux (une vision de la ville depuis longtemps périmée), la Commission européenne doit au contraire promouvoir une ville mixte, à échelle humaine, où tous les quartiers sont habitables et habités et offrent des logements abordables (la Commission européenne étant une institution publique, il est tout à fait normal que ses terrains accueillent des logements publics). La « rationalisation » des implantations de la Commission européenne ne doit pas répondre qu’à des impératifs fonctionnels et techniques mais s’inscrire dans une politique urbaine.
Celle-ci doit être définie démocratiquement par les représentants politiques des habitants suite à de réels processus participatifs : à savoir, encadrée par les autorités locales bruxelloises !

Le gouvernement bruxellois a pour l’instant choisi, au contraire, de « contourner » les décisions de justice, de balayer la participation citoyenne et la concertation, et de vider de sa substance la réglementation.

Concrètement, l’ARAU attend de la Région :

  • Une révision profonde du PAD Loi afin qu’il garantisse l’urbanité du quartier : diversité des fonctions, logements accessibles, mobilité sûre et confortable pour tous les usagers ; le tout à une échelle humaine respectant le principe de « ville de proximité » ;
  • Le respect des principes démocratiques de participation, de concertation et le respect des réglementations (sortie de la culture de la dérogation) ;
  • La planification de la reconversion des 200.000 m² de bureaux qui seraient quittés par la Commission européenne (cette intention ne datant pas d’hier, l’élaboration de ces plans aurait pu être lancée depuis longtemps) et donc l’adaptation conséquente du projet de PAD Herrmann-Debroux ;
  • Le développement d’une politique et d’outils visant à réduire au minimum les opérations de démolition-reconstruction pour ces reconversions ;
  • Le développement d’une politique et d’outils permettant de produire un maximum de logements abordables (sociaux) dans les projets de reconversion de bureaux en logements.