La taxe kilométrique, instrument de justice sociale

La taxe kilométrique, instrument de justice sociale

La diminution du trafic automobile bénéficiera à tous, au contraire du maintien du statu quo qui ne fera qu’aggraver les injustices : la Région a la responsabilité d’agir urgemment ! Affecter les recettes de cette taxe à des politiques sociales constituera en outre un transfert financier au bénéfice des Bruxellois, en particulier des plus pauvres.

Le projet de taxe kilométrique Smartmove suscite de vives réactions. Si les discours ouvertement pro-voitures tendent à s’estomper, d’autres éléments sont désormais mobilisés, plus ou moins sincèrement. Parmi ceux-ci, la dimension sociale est utilisée à tout va : les politiques qualifiées d’ « anti-voitures » seraient, fondamentalement, antisociales. Ces discours font en réalité l’impasse, volontairement ou involontairement, sur les bénéfices qu’apportent, à tous, et particulièrement aux plus pauvres, les politiques de limitation du trafic automobile. Ils ignorent aussi les mécanismes de redistribution de la fiscalité.

Le projet Smartmove est, contrairement à ce que ses détracteurs en disent, une mesure socialement juste, d’autant plus qu’il permet une redistribution des recettes de la taxe aux plus pauvres via le financement de politiques sociales ; ce qui est précisément ce que l’ARAU soutient.

Les coûts de la voiture, supportés par l’ensemble de la société, trop souvent absents de l’ »équation »

Pollution de l’air, bruit, congestion, émissions de gaz à effet de serre, accaparement des espaces publics… Les dégâts causés par la voiture sont légion. Ils engendrent des coûts qui sont supportés par l’ensemble de la société : c’est ce que l’on appelle des « coûts externes ».
Le professeur Christian Valenduc l’a très bien résumé dans une carte blanche récemment publiée dans Le Soir. On comprendra aisément qu’une diminution du trafic et de la congestion automobile permettra de diminuer ces coûts, au bénéfice de l’ensemble de la population qui les supporte actuellement.

Les bénéfices d’une réduction du trafic automobile, élément négligé… mais aucunement négligeable, surtout pour les plus pauvres !

Parallèlement à la baisse des coûts, une diminution du trafic automobile est aussi synonyme d’importants bénéfices, particulièrement pour les ménages bruxellois les plus pauvres. Ceux-ci sont en effet plus touchés par la pollution de l’air, comme l’a montré une étude du groupe de recherche Interface Demography de la VUB. Ces ménages sont en outre très peu motorisés et dépendent d’autres moyens de déplacement que la voiture : la baisse du trafic leur permettra de mieux circuler, que ce soit à pied, à vélo ou, particulièrement, en transports en commun (qui seront beaucoup moins englués dans la congestion).

La taxe kilométrique est avant tout conçue pour dissuader l’usage de la voiture (et donc ne pas être payée)

La fiscalité ne vise pas qu’à « faire rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat », c’est aussi une manière d’inciter ou de dissuader certains comportements. L’augmentation du prix du tabac via les accises, visant à diminuer sa consommation, est un exemple bien connu. La taxe kilométrique repose sur le même principe : décourager l’usage de la voiture par l’augmentation de son coût est un incitant à changer de comportement et à opter pour un autre mode de transport.

Prétendre que la seule prise de mesures incitatives (amélioration des modes alternatifs à la voiture) suffira à opérer ce report modal est un mirage auquel beaucoup croient (ou prétendent de croire), malgré les études et les avis d’experts qui disent le contraire. Sans mesures « restrictives », le transfert modal, de la voiture vers d’autres modes (marche, vélo, transports en commun), ne pourra jamais fonctionner.

La fiscalité, outil de redistribution des richesses

La fiscalité est un outil qui, quand il est utilisé de manière juste, permet la redistribution des richesses des plus riches vers les plus pauvres : la taxe kilométrique pèsera plus sur les ménages roulant beaucoup avec de grosses voitures que sur les ménages roulant peu avec de petites voitures.

Schématiquement, on peut dire que :

  • les plus riches sont plus motorisés, roulent plus en voiture et peuvent se permettre d’habiter dans des endroits moins pollués par la voiture ;
  • les plus pauvres sont faiblement motorisés et vivent dans des quartiers plus pollués par la voiture.

A un niveau spatial, on peut aussi dire que les navetteurs automobiles de régions plus riches (Brabant Wallon et Brabant Flamand) font peser les « coûts externes » de leur usage de la voiture sur une région plus pauvre (Bruxelles).

Les recettes de la taxe kilométrique doivent être affectées à des politiques sociales au bénéfice des Bruxellois, en particulier des plus pauvres

En fonction des différents scénarios tarifaires étudiés dans l’analyse d’impact (au nombre de 6), les recettes nettes de la taxe kilométrique (déduction faite de la taxe de mise en circulation et de la taxe de circulation annuelle, qui seront supprimées) seraient comprises entre 175 et 309 millions par an.
Pour l’ARAU, ces recettes supplémentaires doivent être affectées à des politiques sociales ; les options ne manquent, malheureusement, pas…

  • L’amélioration et le développement des transports en commun constitue un exemple « classique » pour l’affectation des recettes de la taxe kilométrique : cette affectation a une importante dimension sociale puisque les ménages les plus pauvres sont plus dépendants des transports en commun que la moyenne (car moins motorisés). Sur base du coût de la création récente de la ligne de tram 9 (environ 70 millions d’euros), les recettes de la taxe kilométriques permettraient de créer 2 à 4 nouvelles lignes de tram par an !
  • Ces 175 à 309 millions d’euros par an pourraient aussi être affectés à la production de logements sociaux. La Région a récemment adopté un nouveau Plan d’Urgence Logement (PUL) dans lequel il est notamment question d’amplifier et de simplifier les opérations d’achat « clé sur porte », consistant en l’achat de logements par La Société du Logement de la Région de Bruxelles-Capitale (SLRB), sur le marché privé ou auprès d’un autre opérateur public, pour en faire des logements sociaux. A travers ce système, la SLRB a récemment acquis 18 logements à Schaerbeek pour un montant de 5 millions. En extrapolant sur cette base, les 175 à 309 millions de recettes nettes de Smartmove permettraient donc de produire entre 630 et 1112 logements sociaux par an !

Les recettes supplémentaires générées par la taxe kilométrique permettraient de créer 2 à 4 nouvelles lignes de tram ou 630 à 1112 logements sociaux… chaque année !

En finir avec les dégâts de la voiture sur la ville et ses habitants, une question de justice sociale

Les dégâts de la voiture sur la ville et sur ses habitants sont connus de longue date. Et ce sont les plus pauvres qui en subissent le plus lourdement les conséquences. A Bruxelles, ils vivent majoritairement dans des quartiers centraux, densément bâtis, où les espaces verts manquent et où les espaces publics, souvent peu spacieux, sont soumis à une forte pression de l’automobile.

Les plus pauvres sont aussi ceux qui subissent le plus la pollution de l’air générée par le trafic routier. Cette situation est injuste, personne n’en disconviendra. Cette peine est d’autant plus injuste qu’elle est majoritairement provoquée par les plus riches, plus motorisés et qui roulent plus, dans de plus grosses voitures.

S’attaquer à la voiture et à ses dégâts n’a rien d’un « acharnement d’un petit monde » mais constitue une nécessité au bénéfice de tous, en premier lieu des plus pauvres, qui sont les principaux gagnants des politiques de limitation du trafic automobile.

La nécessité de diminuer, fortement, l’usage de la voiture et ses dégâts n’est (presque) plus remise en question. En revanche, certains croient, naïvement, ou tentent de faire croire, cyniquement, que des politiques incitatives d’amélioration des alternatives (RER, métro, etc.) parviendraient, à elle seules, à provoquer cette diminution. Dans la réalité, des mesures dissuasives sont nécessaires. La taxe kilométrique en est une, au côté, notamment, des politiques de réduction des infrastructures routières et du nombre d’emplacements de parking.

Les réactions qualifiant Smartmove de « mesure antisociale », exemple à l’appui de ménages fictifs qui verraient leurs charges augmenter, sont très souvent caricaturales et font l’impasse sur la donnée essentielle qu’est la redistribution des recettes. L’analyse d’impact de Smartmove a ainsi estimé qu’en répartissant les recettes à tous les habitants de la Région bruxelloise (sans critère particulier), les ménages verraient leurs revenus augmenter de 46 à 61 euros par mois. Cibler cette redistribution vers les ménages les plus pauvres, à travers des politiques sociales, permettrait à ces derniers de voir leurs revenus augmenter encore plus.

La taxe kilométrique a donc un double effet social positif :

  • Un effet direct
    Par la diminution du trafic automobile et de ses dégâts, les « coûts externes » (pollution, bruit, congestion, etc.), qui pèsent particulièrement sur les plus pauvres, diminueront.
  • Un effet indirect
    Par l’affectation des nouvelles recettes à des politiques sociales ciblées (logement, transport ou autres), permettant d’augmenter le « pouvoir d’achat » des plus pauvres.

S’opposer à Smartmove ou, plus globalement, à toute politique de restriction du trafic automobile revient à plaider pour le maintien, voire l’aggravation, d’une situation profondément injuste. L’ARAU encourage la Région à défendre et à mettre en œuvre la taxe kilométrique, à ne pas flancher face à l’opposition mais, au contraire, à assumer ses responsabilités envers les Bruxellois.