Nul besoin de dénaturer la place Royale pour en faire un lieu accueillant pour les piétons, cyclistes, habitants et touristes !

Nul besoin de dénaturer la place Royale pour en faire un lieu accueillant pour les piétons, cyclistes, habitants et touristes !

Bien loin du projet de 2018, proposé par Beliris et que l’ARAU soutenait, la nouvelle demande de permis relative au réaménagement de la place Royale ne respecte pas le profil historique de cet espace public si emblématique et met à mal la symétrie de la place et les effets de perspective qui y sont directement liés. Le respect du passé est compatible avec l’avenir : il faut maintenir le profil historique et établir, sur toute la surface carrossable de la place, une vaste zone de rencontre.

Nouvelle enquête publique

Le nouveau projet de restauration de la place Royale est donc soumis à enquête publique du 8 septembre au 7 octobre 2021. Les grandes lignes du projet sont les suivantes (selon l’avis de la CRMS) :

 

– modifier les principes de circulation selon un tracé en « T » avec désaxement du trafic motorisé et des trams, concentré du côté nord-ouest de la statue de G. de Bouillon ;
– délimiter 3 espaces réservés aux piétons et cyclistes dans la partie sud-est précédant l’église ainsi que dans les quadrants du côté BIP et Musée Magritte ;
– maintenir le tracé existant des trottoirs périphériques, hormis à la jonction avec les rues Royale, de la Régence et Montagne de la Cour où ils sont élargis, certains intégrant les pistes cyclables ;
– reprofiler la place en un espace de plain-pied ou, en variante, avec des trottoirs surélevés et bordures qui sont ponctuellement abaissées aux passages piétons ;
– récupérer le revêtement de la zone centrale en pavés mosaïque de porphyre hormis entre les voies de trams où sont prévus des pavés porphyre oblongs. Le revêtement des trottoirs est prévu en dalles de pierre bleue de dimensions variées […]

En cherchant à respecter les conditions de l’avis de la Commission de Concertation de 2018, il s’agit d’un réel retour en arrière par rapport au plan proposé cette année-là. Sans tenir compte des remarques formulées par l’ARAU ou la CRMS lors de la première enquête publique, le projet ne respecte donc pas du tout le profil historique de la place, nuit à sa symétrie et met à mal la sobriété de son aménagement. Une aberration quand on sait que jusqu’ici, la place Royale était parvenue à conserver un grand nombre de ces caractéristiques historiques !

Respecter le passé…

Pour l’ARAU, plusieurs éléments dans le nouveau projet sont problématiques :

(1)          La mise en plain-pied de la place ne permet de pas de respecter son profil historique : les trottoirs surélevés font en effet partie de la scénographie néoclassique pensée pour la place Royale. Ils mettent en valeur les bâtiments qu’ils bordent et soulignent les perspectives. Oublierait-on également que la place Royale est le premier espace public bruxellois, belge (et sans doute aussi européen) à avoir été doté de trottoirs ? Les conserver est donc une nécessité historique et patrimoniale ! En outre, mettre à niveau la voie carrossable et les trottoirs revient également à oublier le rôle premier de ceux-ci : celui de protéger le piéton (vis-à-vis du trafic, de l’eau et de la boue), mais aussi accueillir une multitude d’usages, qui vont bien au-delà de la simple circulation (flânerie, séjour, etc.).

L’ARAU demande donc à la Commission de Concertation d’opter pour la variante proposée dans la note explicative, à savoir la conservation de trottoirs surélevés (avec, par endroits, abaissement pour faciliter la circulation des PMR, poussettes et autres usagers entre le trottoir et la voirie).

(2)          Dans le projet actuellement soumis à enquête, le principe de la circulation giratoire autour de la statue de Godefroid de Bouillon serait remplacé par un carrefour en « T », formé par les axes des rues de la Régence, Royale et Montagne de la Cour, avec une connexion secondaire vers la rue de Namur. De la même manière, les deux voies de trams seraient reportées d’un seul côté de la statue (actuellement, les voies passent de part et d’autre du monument). Ces deux modifications auraient pour conséquence de briser l’effet de symétrie propre au système urbain néoclassique.

Flux de circulation prévus par le projet de réaménagement de la place Royale (source : Note explicative relative au projet, p. 23).

On rappellera que le remplacement d’une circulation giratoire par une circulation traversante a pour effet de diviser l’espace de la place et de compromettre la circulation des usagers actifs entre les différentes « zones » ainsi créées. Face à cet écueil, le Manuel des espaces publics recommandait de préférer une circulation giratoire ou encore un espace mixte, sans marquage.

(3)      Tel que conçu, le projet ne solutionne pas certains problèmes liés aux usagers actifs. D’une part, il n’apporte pas de réponse aux risques de conflits entre cyclistes et piétons dans les zones qui leur sont réservées, ni à la potentielle mise en danger de ces derniers. D’autre part, les itinéraires proposés aux cyclistes pour traverser la place sont contre-intuitifs (on aurait tendance à vouloir contourner la statue) en plus d’être dangereux : en effet, certains impliquent de traverser deux fois les zones dédiées au trafic motorisé (voitures, trams, bus, etc.), qu’on peut imaginer fort dense à certaines heures.

Itinéraires cyclables prévus pour traverser la place Royale (source : note explicative relative au projet, p. 25).

(4)          Selon le projet, l’espace dédié à la circulation motorisée serait séparé des zones réservées aux modes actifs par des rangées de potelets. Elément supplémentaire de mobilier urbain, ceux-ci mettraient à mal la sobriété de la place. Or, comme l’indique Thomas Schlesser :

 

La ville néoclassique se caractérise par son ordonnancement et l’efficacité visuelle de ses espaces publics, dont la lisibilité est renforcée par un aménagement sobre et discret. L’augmentation des signes circulatoires et touristiques dans l’espace public, ainsi que la prolifération d’installations diverses, perturbe ce paysage urbain. La réduction de l’encombrement de l’espace public est un enjeu majeur de la ville néoclassique.

Un enjeu auquel le projet actuel ne répond pas du tout !

L’ajout de ces potelets nuit aussi à la symétrie de l’espace. Il faut noter que la place Royale, comme tous les espaces publics néoclassiques, a été conçue pour être « lue », parcourue et comprise d’une certaine manière : le désencombrement de l’espace, les jeux de symétrie permettent de souligner les perspectives, d’ouvrir les vues sur d’autres espaces (ici, le parc de Bruxelles notamment) et de mettre en valeur les bâtiments. Intégrer de nouveaux éléments au beau milieu de la place a pour effet de briser cette mise en scène et compromet l’intérêt patrimonial de cet espace public historique.

… pour s’inscrire dans l’avenir : plaidoyer pour une zone de rencontre

Concilier l’amélioration du confort et de la sécurité des modes actifs avec le respect du patrimoine n’est pas impossible ! Des solutions existent, qui permettent de faire droit tant aux exigences de la mobilité active qu’à la mise en valeur d’un espace public historique. A ce sujet, l’ARAU réitère sa proposition d’instaurer une zone de rencontre sur la place Royale.

La zone de rencontre présente en effet de nombreux avantages : une augmentation de la sécurité des usagers, grâce à une vigilance accrue ; la disponibilité de l’espace pour une palette plus large d’activités ; le désencombrement et la requalification (notamment patrimoniale) de l’espace (moins de panneaux) ; une flexibilité et une réversibilité des aménagements (peu / pas de dispositifs particuliers à mettre en place) ; des contacts visuels et une sociabilité accrus.

La zone de rencontre permettra aussi aux promeneurs d’apprécier les détails de la statue de Godefroid de Bouillon, mais aussi les vues sur le parc Royal et sur le Palais de Justice, dans la mesure où le centre de la place sera à nouveau accessible à tous (ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, aucun dispositif piéton n’étant prévu pour atteindre la statue).

Le parc de Bruxelles vu depuis le centre de la place Royale (source : Thomas SCHLESSER, Le paysage urbain néoclassique à Bruxelles Pentagone. Un patrimoine urbanistique remarquable dans la ville contemporaine, p. 60).

Il faut aussi souligner que la mise en place d’une zone de rencontre n’implique pas forcément la mise à niveau des trottoirs et de la voirie ou, en d’autres termes, la création d’un espace de plain-pied, selon Thomas Schlesser :

 

Il faut remarquer que la mise en espace partagé ne doit pas signifier par défaut l’établissement d’un espace de plain-pied : dans la ville néoclassique, le revêtement de voirie, les trottoirs et bordures sont des éléments essentiels de la scénographie urbaine, et contribuent à souligner la régularité et l’ordonnancement du paysage. […] En milieu patrimonial, la mise en espace partagé ou zone de rencontre ne doit pas être synonyme de suppression automatique du profil de voirie hérité et de remplacement des revêtements historiques. Le respect des qualités spatiales et de l’identité du paysage urbain est un facteur important de succès du réaménagement.

Enfin, l’instauration d’une zone de rencontre devra aussi permettre de rencontrer les objectifs régionaux en matière de « ville marchable » : on citera pour mémoire la création d’un piétonnier est-ouest sur les traces de l’ancien Steenweg (projet d’ « hypercentre marchable »), la création de magistrales piétonnes et, dans ce cadre, la restauration de la qualité des espaces publics emblématiques (deux objectifs inscrits au plan Goodmove).

« Respect the past, create the future »

L’actuel projet de réaménagement de la place Royale constitue un net recul par rapport à ce qui avait été présenté en 2018… et que l’ARAU soutenait ! Il témoigne d’une incapacité à comprendre, interpréter et prendre en compte l’histoire et la singularité du lieu. Il existe pourtant des études de spécialistes qui mettent en lumière les caractéristiques majeures et les logiques qui régissent la composition des espaces urbains néoclassiques, dont fait partie la place Royale. Ces études sont même accompagnées de recommandations destinées à guider la restauration et le réaménagement de ces espaces.

L’ARAU demande que le recours à ces référentiels soit systématique lors de l’élaboration de projets, qui plus est lorsqu’ils concernent des espaces publics qui, en plus de faire figure de « carte postale » pour la Ville de Bruxelles, revêtent une telle importance patrimoniale.

La place Royale mérite une restauration soignée, respectueuse de sa valeur patrimoniale et historique (en phase avec les prescriptions relatives à l’aménagement des espaces publics néoclassiques) mais aussi plus accueillante pour les modes actifs. Pour autant qu’elle soir strictement respectée, instaurer une zone de rencontre devra permettre de faire droit à ces deux exigences et rendra à la place sa convivialité.