PPAS Gare du Nord : une machine à remonter le temps

PPAS Gare du Nord : une machine à remonter le temps

La commune de Schaerbeek élabore un projet de Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) dans le quartier Nord, afin d’autoriser la construction de quatre nouvelles tours en lieu et place du CCN : du sur mesure pour le projet des promoteurs (Atenor et AG Real Estate) et un copier-coller des plans des années 1960, ceux-là même qui ont détruit le quartier Nord ! Le retour de l’urbanité passe par l’abandon de ce projet de PPAS au profit d’un plan à échelle humaine, couvrant l’ensemble du quartier.

Ce mercredi 7 décembre se termine l’enquête publique sur le projet de PPAS n°19 « Quartier Ouest de la Gare du Nord ». Il s’agit plus précisément d’un projet de modification d’un PPAS existant dont le périmètre actuel couvre partiellement une partie des tours du WTC et du CCN. Ce périmètre serait élargi pour englober l’entièreté du CCN ainsi que la gare du Nord.

Cette modification n’est que très sommairement motivée dans le dossier soumis à l’enquête publique, qui se contente de renvoyer au travail effectué par l’administration régionale de la planification (perspective.brussels) dans le cadre du projet « Territoire Nord ». Si les grandes lignes de ce « plan d’ensemble » (augmenter la mixité fonctionnelle, « verduriser », etc.) sont régulièrement évoquées par le gouvernement régional, force est de constater que seule la définition d’une « vision partagée » est envisagée, ce qui n’équivaut en rien à un plan réglementaire contraignant. Il faudrait donc aujourd’hui se prononcer sur un projet particulier alors que le projet de « vision » globale n’est pas connu et qu’il n’a pas été soumis aux procédures de publicité-concertation. Autrement dit, les choses sont faites à l’envers ! Ce projet de PPAS n’est pas un cas isolé ; d’autres plans sont, parallèlement, en cours d’élaboration ou de mise en œuvre dans le quartier Nord : projet de plan d’aménagement directeur (PAD) Maximilien-Vergote, contrats de rénovation urbaine, contrats de quartiers… sans même parler des projets immobiliers privés !

Ce « syndrome de la planification à l’envers » est malheureusement monnaie courante à Bruxelles, l’ARAU l’a déjà maintes fois dénoncé. Avant de soumettre ce projet de PPAS à l’enquête publique, il faut d’abord que la vision d’ensemble pour le quartier Nord soit débattue et qu’elle fasse ensuite l’objet d’un projet de plan réglementaire, qui devra être soumis aux procédures requises (évaluation des incidences, enquête publique, concertation).

Du sur mesure pour les promoteurs…

Pour comprendre la raison d’être de ce projet de PPAS, il faut aller voir du côté d’un projet immobilier développé par les promoteurs privés Atenor et AG Real Estate sous le nom de NÖR Brussels. Sur le site d’Atenor on peut lire que « En avril 2019, ATENOR, AG Real Estate et AXA IM – Real Assets, agissant pour le compte d’un de ses clients, ont conclu un accord de partenariat pour développer un projet de grande ampleur sur le site actuellement connu sous le nom de CCN ». Ce projet est donc né il y a plus de 3 ans et demi (le lancement de sa première phase a d’ailleurs déjà commencé puisqu’un permis a été délivré le 9 mai 2022 pour la démolition du CCN).
Pour le dire sans détours, ce projet de PPAS n’existe que pour répondre aux intérêts privés de promoteurs immobiliers, pour entériner, a posteriori, des accords conclus entre nos responsables politiques et ces promoteurs, dans la plus grande opacité et en-dehors de tout cadre de décision démocratique !

… pour un copier-coller du pire de l’urbanisme des années 1960

Outre le grave déficit de démocratie caractérisant l’élaboration de du projet de PPAS, ce plan s’inscrit dans la droite ligne de ceux des années 1960, qui ont conduit le quartier Nord au désastre urbanistique qu’on connaît aujourd’hui. La commune de Schaerbeek ne renie pas cette « filiation », au contraire :

 

La modification du PPAS permettra de maintenir la continuité des alignements du PPAS existant ainsi que de promouvoir de nouveaux alignements qui s’avèreraient nécessaire en vue de conforter l’esprit du plan Manhattan comme ensemble iconique à valoriser au niveau patrimonial.

(projet de modification du PPAS n° 19 « quartier ouest de la gare du Nord », partie 1 – rapport, p. 66)

En proposant d’autoriser pas moins de quatre nouvelles tours (deux de 93m et deux de 102m), le projet de PPAS est une machine à remonter le temps, vers une époque qu’on osait espérer révolue. Est-il besoin de rappeler ce qui est connu depuis maintenant des décennies, à savoir que les tours sont fondamentalement anti-urbaines ? Ombres portées, vents, sensations d’écrasement et de barrière : autant d’effets qui dégradent irrémédiablement l’habitabilité des quartiers dans lesquels les tours s’érigent. Dans le quartier Nord, l’enfilade de tours a créé un espace public inhumain qui était d’ailleurs, dans les plans originaux, exclusivement destiné à la circulation automobile de masse, les piétons devant circuler sur des dalles 13m au-dessus du niveau du sol.

D’un point de vue environnemental aussi, les tours, qui sont une forme de « très haute 4 façades », posent de nombreux problèmes : nécessité de mettre en œuvre beaucoup de matériaux, besoins de « techniques » supplémentaires (ascenseurs, ventilation, pompes…), forte exposition aux vents, etc. Tous ces « inconvénients » ont été très bien documentés, notamment dans l’étude BXXL – Objectivation des avantages et inconvénients des immeubles élevés à Bruxelles (2009). Il est incompréhensible et inadmissible, au regard des enjeux actuels, que le rapport d’incidences du dossier ne contienne aucun bilan carbone et renvoie la réalisation de celui-ci aux demandes de permis ultérieures.

Des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux supplémentaires : une aberration !

Un PPAS n’a pas pour seul rôle de réglementer les gabarits (hauteur, emprise au sol) des constructions : cet instrument permet aussi de déterminer les affectations/fonctions (logements, bureaux, commerces, équipements…) dans son périmètre. Le projet de PPAS « Quartier Ouest de la Gare du Nord » fixe ainsi des seuils et/ou plafonds pour ces différentes fonctions. Dans la lignée des « grandes orientations » régionales prônant la mixité fonctionnelle (et après négociation avec les promoteurs ?), un seuil de logement a été fixé à 33%. Malgré le marketing urbain sur le retour du logement, c’est donc encore le bureau qui se taille la part du lion, le projet de PPAS prévoyant d’autoriser plusieurs dizaines de milliers de mètres carrés de cette fonction. On sait pourtant que Bruxelles ne manque pas de bureaux vides (9% dans le quartier Nord d’après l’observatoire des bureaux) et que le stock d’immeubles inoccupés devrait croître dans les années à venir : on pourrait même connaître un véritable boom de cette vacance avec la concrétisation des plans de « rationalisation » d’acteurs importants sur le marché bruxellois, comme la Commission européenne, la Régie des bâtiments ou encore la SNCB qui prévoient de quitter des centaines de milliers de mètres carrés qu’ils occupent actuellement. Une planification intelligente devrait veiller à utiliser ce stock existant avant d’autoriser la construction de bâtiments neufs qui nécessite la production de milliers de tonnes de béton, et donc l’émission de milliers de tonnes de CO2.

Conclusion : le quartier Nord a besoin d’un plan à échelle humaine

Le projet de PPAS doit être entièrement revu. Une des conditions essentielles pour ramener de l’habitabilité dans le quartier Nord est d’y planifier (et d’y réaliser !) une réurbanisation à l’échelle humaine. Dans ce domaine, l’« îlot traditionnel bruxellois » a fait ses preuves, non seulement pour la qualité de vie qu’il offre à ceux qui y logent, mais aussi à ceux qui profitent de l’espace public, des rues, qu’il crée. Ce morceau de ville devra intégrer un vrai parvis pour la gare du Nord : c’est à partir de cette nouvelle place publique de qualité pour tous les habitants et usagers du quartier que le nouveau PPAS doit être pensé.

Outre ces principes urbanistiques, il est bien sûr évident que toute planification doit prendre en considération la dimension sociale : il faut aller bien plus loin que les « timides » et trop vagues proposition du projet de PPAS actuel (qui parle de logements sociaux ou assimilés à sociaux et/ou conventionnés) et imposer un pourcentage significatif de vrais logement sociaux. Ces principes urbanistiques et sociaux devront aussi constituer le fondement du « plan d’ensemble » pour le quartier Nord qui devra préalablement être établi.