Rue Royale 132-136 : une croix sur les habitants ?

Rue Royale 132-136 : une croix sur les habitants ?

Démolir des bureaux pour reconstruire… des bureaux. Un projet qui montre que les démolitions-reconstructions ont toujours la cote malgré les engagements politiques qui veulent faire de ces opérations des exceptions. Un programme qui n’introduit aucun logement et ne remet pas en cause la monofonctionnalité tertiaire du quartier, pourtant très problématique. L’ARAU demande que les opérations de cette ampleur incluent toujours une proportion de logements : il faut penser la mixité à l’échelle du projet !

Le projet porte sur la rénovation du bâtiment 132 ainsi que sur la démolition du bâtiment n°136, et la reconstruction d’un bâtiment de bureau dont les niveaux seraient alignés sur ceux du n°132. Il faut aussi mentionner la démolition des façades du n°132 rue Royale et de sa jumelle, au n°31-33 de la rue de Ligne (parcelle traversante), leur reconstruction devant permettre « l’uniformisation » des façades du n°132 et du futur n°136. Le programme du projet est identique à celui des immeubles existants, à savoir un peu plus de 9.200 m² de bureaux.

La Région ne tient pas ses engagements en matière de démolitions-reconstructions

Malgré les déclarations politiques, on recense encore beaucoup trop de projets de démolition-reconstruction à Bruxelles. La demande de permis qui nous intéresse aujourd’hui a d’ailleurs été introduite à l’été 2021, soit bien après les engagements régionaux promettant que les démolitions-reconstructions devaient devenir l’exception, et la rénovation la règle. Le travail de « veille » sur les enquêtes publiques (qui constitue l’une des activités des associations actives en urbanisme) montre malheureusement que le projet de la rue Royale n’a rien d’une exception : l’engagement de la Région ne se vérifie pas.

Les arguments avancés pour justifier la démolition-reconstruction sont uniquement d’ordre « pratique » et ne répondent qu’aux intérêts particuliers du demandeur. Selon lui, le maintien des bâtiments actuels ne permettrait pas de raccorder l’actuel bâtiment n°136 avec le bâtiment n°132 (différence de niveau entre les plateaux), ni d’atteindre « les standards actuels en matière de bureaux »… L’« optimisation des flux » des employés à l’intérieur du bâtiment (c.-à-d. leur éviter quelques pas sur le trottoir pour rejoindre une réunion…) ne peut en aucun cas justifier une démolition d’une telle ampleur !

Dans le RIE, on lit d’ailleurs que « les intentions du demandeur ne sont pas compatibles avec la conservation du bâtiment ». Pourquoi ne pas en faire autre chose alors (spoiler : du logement, par exemple) ? De telles considérations montrent qu’une fois de plus, le promoteur oublie de partir de l’existant pour penser son projet. Le propre de l’urbanisme, et l’avenir de l’architecture, est pourtant de faire mieux avec ce qu’on a, pas de partir d’une table rase. Étonnant qu’une société active dans le domaine de la construction n’intègre pas ces principes et enjeux…

Alors qu’il est désormais admis que les opérations de démolition-reconstruction ont un bilan environnemental désastreux (grands volumes de déchets générés lors de la phase de démolition, utilisation de matières premières non renouvelables et émissions conséquentes de gaz à effet de serre pour la production, l’acheminement et la mise en œuvre des matériaux neufs), le dossier de demande de permis ne comporte aucun bilan carbone précis (prenant en compte tout le cycle de vie des bâtiments, y compris les travaux de démolition et la « perte sèche » représentée par celle-ci, notamment du fait du faible taux de réemploi des matériaux). L’administration régionale de l’urbanisme devrait donc se fier à la seule parole du demandeur, qui ne dispense que quelques considérations basiques sur les prétendus avantages écologiques de la démolition-reconstruction. Il est primordial que de tels projets de démolition-reconstruction fassent l’objet d’un bilan carbone/environnemental rigoureux et indépendant. C’est pourquoi l’ARAU soutient l’initiative des Shifters Belgium qui demande « l’obligation de mesurer l’empreinte carbone des projets urbains de la Région de Bruxelles-Capitale » à travers une pétition officielle adressée au parlement bruxellois.

Un projet qui fait fi de l’intérêt patrimonial des bâtiments

Le bâtiment n°136 est daté de 1952 (avec quelques modifications par la suite), en remplacement de deux anciens hôtels de maitre, dont les caves ont été conservées. Quant au n°132 (ainsi qu’au n°31-33 rue de Ligne), il est construit pour Constructiv en 1999. Il est l’œuvre de l’Atelier d’Art urbain (en collaboration avec Michel Jaspers) et s’inscrit dans le courant postmoderniste de l’architecture bruxelloise. A l’heure actuelle, aucun de ces deux bâtiments n’est classé ou sauvegardé. Le projet prévoit d’« unifier » les deux bâtiments de la rue Royale sous une seule façade.

La création de longues façades uniformes implique une négation du parcellaire historique de la rue (qui est pourtant une artère emblématique de Bruxelles) ; ces longues façades uniformes provoquent en outre chez le passant (piéton) une sensation de monotonie par une absence de rythme : un type d’aménagement contraire à la « ville à échelle humaine » prônée, notamment, par le célèbre urbaniste Jan Gehl.

Alors que le secrétaire d’État en charge de l’urbanisme et du patrimoine, Pascal Smet, a récemment affirmé sa volonté de mieux protéger le patrimoine d’après-guerre, valider la disparition de plusieurs façades sur la rue Royale ne semble ni cohérent, ni acceptable !

Un projet 100 % bureaux, qui ne permet pas le retour d’habitants dans le quartier

Outre le problème posé par la démolition-reconstruction, il faut souligner que le projet ne contribue d’aucune manière à l’augmentation de la mixité fonctionnelle dans le quartier de la rue Royale. Il n’apporte aucune amélioration à la tertiarisation du quartier, qui avait pourtant amené la Ville de Bruxelles et la Région à le couvrir par un PPAS (Plan Particulier d’Affectation du sol), approuvé en 2005 et élaboré dès 1998. L’un des objectifs de ce plan était d’ailleurs de rétablir l’équilibre bureaux/logements, notamment en permettant au logement de « reconquérir » des surfaces affectées au bureau.

Près de 20 ans après, force est de constater que le « quartier » où se situe le projet (secteur statistique Cité Administrative et Congrès) ne compte que 1.365 habitants/km² (bien en-deçà de la moyenne régionale de 7.500 hab./km²) : un nombre très faible alors que l’on se trouve dans le centre-ville. Le bureau reste roi aux abords de la rue Royale et le logement peine à se faire une place dans le quartier. À une échelle plus large, le quartier Notre-Dame-aux-Neiges était, en 2018, le quartier de l’est du Pentagone le plus concerné par le phénomène de présence massive de bureaux (selon le Monitoring des Quartiers). Malgré cela, la demande de permis concerne un ensemble 100% bureaux, 100% monofonctionnel, et ce sur plus de 9.200 m² !

Plaidoyer pour le retour du logement dans le quartier de la rue Royale

La Région ne doit pas attendre les réformes planologiques et réglementaires (que l’ARAU appelle de ses vœux) pour renvoyer une telle demande de permis sur le métier : chaque opportunité (comprendre : chaque demande de permis) doit être saisie pour avancer vers une plus grande mixité dans les quartiers de bureaux. Si la Région et la Ville de Bruxelles veulent effectivement concrétiser le principe de ville de proximité (ou ville du quart d’heure) qu’elles prônent, elles doivent faire en sorte de réintroduire du logement dans chaque quartier. C’est particulièrement pertinent dans les quartiers centraux où la densité de services, d’équipements, de commerces permet de pleinement concrétiser ce principe de ville de proximité.

À l’échelle du projet qui nous intéresse, il est par exemple possible de dédier le bâtiment n°136 au logement : la note explicative pointe la présence de nombreuses colonnes qui empêchent la création de vastes plateaux ouverts. Cette contrainte disparait si l’on décide d’y implanter du logement à la place du bureau ! On peut également envisager d’établir des logements à l’arrière du site, au n°31-33 de la rue de Ligne. Plus calme et moins passante, cette localisation est parfaitement adéquate ; d’autant plus qu’en face, le bâtiment qui fait l’angle des rues de Ligne et Montagne de l’Oratoire accueille lui-aussi du logement. Il s’agit d’un ancien immeuble de bureaux de la Cité Administrative de l’État, réaffecté en logement entre 2013 et 2015.

Conclusion : maintenir les bâtiments et y créer des logements

L’ARAU a récemment pris connaissance de la « vision partagée » pour le Quartier européen (sur laquelle le Gouvernement bruxellois s’est accordé en mai 2022), qui met notamment en avant le principe de « Réintroduire une offre de logements diversifiés dans le quartier pour graduellement dissiper son caractère monofonctionnel et favoriser la reconversion de bureau en logement ». Pour l’ARAU, cette ambition ne doit pas se limiter au seul quartier européen. Le quartier de la rue Royale est touché par les mêmes maux et besoins (effets néfastes et pérennes de la tertiarisation et nécessité d’intégrer de nouveaux habitants) mais bénéficie d’un contexte plus propice au redéveloppement d’une ville habitée (environnement patrimonial, espaces publics, typologie du bâti, centralité et accessibilité).

L’ARAU demande donc à la Région de ne pas délivrer un énième permis pour une telle opération de démolition-reconstruction. Là aussi, la Région doit s’inspirer de ce qu’elle prône dans la « vision partagée » pour le Quartier européen où elle indique qu’« il est nécessaire de stimuler la rénovation du bâti existant conformément à la stratégie « Renolution » et de réduire les opérations de démolition/reconstruction ».

Il n’est pas nécessaire d’attendre les réformes promises (réforme du Règlement Régional d’Urbanisme et réforme du Plan Régional d’Affectation du Sol) pour s’attaquer aux enjeux environnementaux et de mixité fonctionnelle. La Région a, dès aujourd’hui, les cartes en main pour atteindre ces objectifs. L’urgence est là : il ne faut laisser passer aucune occasion d’y répondre !