Réaménagement du Boulevard Clovis : il est temps de prendre en compte la valeur patrimoniale de nos espaces publics historiques !

Réaménagement du Boulevard Clovis : il est temps de prendre en compte la valeur patrimoniale de nos espaces publics historiques !

En plein Quartier des Squares, la Ville de Bruxelles avance dans des travaux de réfection complète du boulevard Clovis. Une partie des pavés a déjà été supprimée et la voirie asphaltée… sans permis ! Derrière les urgences des travaux de la Ville, l’ARAU regrette un réel mépris pour les qualités patrimoniales de cette artère et demande un rétablissement du profil historique.

En 2019, Infrabel entamait un important chantier au cœur de Bruxelles : il s’agissait de remplacer la voûte du tunnel ferroviaire sous le boulevard Clovis et de créer de nouvelles sorties de secours. Préalablement à ces travaux, lors d’une réunion en octobre 2018, la CRMS en avait profité pour demander que

 

les travaux s’accompagnent d’une remise en état soignée de l’espace public, à l’identique de l’existant et la mieux intégrée possible eu égard au contexte patrimonial et paysager environnant.

A l’heure actuelle, les travaux d’Infrabel sont en passe de se terminer mais le sort du boulevard n’est pas encore fixé : en effet, en octobre 2019, la Ville de Bruxelles décide de profiter de la rénovation du tunnel pour proposer un réaménagement radical de l’espace public du boulevard. Entre autres mesures, il est prévu de créer une promenade piétonne bétonnée au milieu de la berme centrale et de remplacer, en voirie, les pavés par de l’asphalte : malgré des intentions louables, la Ville s’est clairement affranchie des recommandations de la CRMS !

Aménagements prévus boulevard Clovis (source : < http://www.fairebruxelles.be/fairebxlsamen/p/news/990 >).

La question du respect du patrimoine ne semble en effet pas beaucoup compter aux yeux des concepteurs du projet.

 

Or il est indispensable, lorsque l’on décide de réaménager un boulevard du 19e siècle, de se pencher préalablement, et sur base d’études historiques, sur la valeur patrimoniale d’un tel paysage urbain.

Le boulevard Clovis offre un profil tout à fait singulier : il représente aujourd’hui l’un des derniers exemples de ces boulevards résidentiels du 19e siècle, étonnamment bien conservé à l’heure actuelle. Plus que l’architecture qui le borde, c’est la qualité de son espace public – et notamment la conservation de son revêtement pavé – qui donne au boulevard son caractère remarquable.

Pour comprendre comment le boulevard est créé et ce qui lui donne sa forme, deux éléments sont à prendre à prendre en compte : d’une part, la construction (1855) puis déplacement (1881-1885) du chemin de fer de ceinture sur les communes de Bruxelles et de Saint-Josse-ten-Noode (actuelle ligne 161) ; d’autre part, la création du Quarter Nord-Est ou « Quartier des Squares », selon les plans de Gédéon Bordiau (planifié en 1875). Avec le boulevard Charlemagne, le boulevard Clovis constitue l’une des deux artères courbes de ce nouveau quartier.

squares bordiau
Le plan de Bordiau pour l’urbanisation du Quartier Nord-Est ou « Quartier des Squares » (source : AVB, PP, G. Bordiau, Vue perspective de la transformation de la partie nord-est du Quartier Léopold, 1875).

Le profil du boulevard n’a d’ailleurs que peu changé depuis sa naissance : dès le départ, il comporte des trottoirs le long des habitations, des voies de circulation pavées, et une berme centrale verdurisée, que longent deux étroits trottoirs, pavés eux aussi. Il connait toutefois quelques modifications dans les années 1950 : suite au comblement de certaines baies d’aération du chemin de fer, trottoirs et berme centrale sont remaniés, tout en respectant les aménagements du square Ambiorix.

boulevard clovis
Le boulevard Clovis, probablement avant 1920 (source : Collection Belfius Banque-Académie royale de Belgique © ARB – urban.brussels).

Comme souvent, lorsque l’on travaille sur une paysage urbain historique, il faut comprendre la place du boulevard Clovis au sein du quartier dont il fait partie : il s’agit d’une artère structurante au sein d’un quartier conçu à un moment précis. Avec le boulevard Charlemagne, il doit être pensé comme l’un des deux « bras » rattachés au « tronc » constitué par l’enfilade de squares. Son aménagement, et notamment sa berme centrale, peut donc être envisagé comme la prolongation du square Ambiorix, tant en termes de profil de l’espace public que de matériaux utilisés dans celui-ci, ou de verdurisation.

 

En d’autres termes, le boulevard Clovis participe ainsi d’un paysage plus global, celui d’un quartier particulier, cohérent, homogène, planifié puis construit en un laps de temps très court.

Il faut aussi comprendre le boulevard Clovis comme une artère ancrée dans son époque, celle du tournant du 20e siècle (le boulevard Clovis se couvre de construction entre 1890 et 1926, donc un peu plus lentement que le reste du quartier). Les constructions qui bordent le boulevard témoignent des différents styles architecturaux en vogue à cette époque. Son espace public est aussi révélateur de cette période, à travers son gabarit et les matériaux utilisés (et notamment les pavés).

Ces pavés sont d’ailleurs menacés par le projet de la Ville : sans rappeler l’avantage écologique à conserver et restaurer les voies pavées, le coût environnemental de l’asphaltage du boulevard et le danger que constituerait cette disposition au point de vue des îlots de chaleur (éléments que l’ARAU a déjà mis en avant à de multiples reprises), il est aussi nécessaire de considérer ces pavés comme partie intégrante du patrimoine bruxellois. L’ARAU a consacré une journée d’étude entière sur le sujet en 2014 et le résumait ainsi dans une analyse de 2015 :

 

L’asphaltage progressif de certaines voiries entraine une perte de qualité et de cohérence via la banalisation dommageable de nombreux espaces publics.

Or ces arguments ne semblent pas avoir été pris en compte par la Ville de Bruxelles qui, avant même l’octroi du permis, a entamé la suppression des pavés et l’asphaltage de la voirie. Si l’on relit l’arrêté « minime importance », ces travaux sont illégaux. En effet :

 

[…] Art. 6. Pour autant qu’ils n’impliquent aucune dérogation à un plan d’affectation du sol, à un règlement d’urbanisme ou à un permis de lotir, et qu’ils ne constituent pas le complément de travaux soumis à permis d’urbanisme, les actes et travaux de voirie suivants sont dispensés de permis d’urbanisme :
1° pour autant que les actes et travaux ne modifient pas les caractéristiques essentielles du profil en travers, le renouvellement des fondations et du revêtement des chaussées, bermes, bordures et trottoirs, à l’exception des changements de revêtements constitués principalement de pierres naturelles […]

Une exception prévoit donc explicitement le cas présenté ici : si certains travaux de voirie sont effectivement exemptés de permis d’urbanisme, le changement de revêtements constitués principalement de pierres naturelles ne fait pas partie des cas !

asphalte boulevard Clovis
Asphaltage de la voirie devant l’Athénée Adolphe Max, décembre 2020.

Le boulevard Clovis doit donc être considéré pour sa valeur patrimoniale, et ce, à plusieurs égards : en tant qu’axe structurant à l’échelle de la région et comme continuité logique d’un site classé, à savoir le square Ambiorix ; en tant que composante d’un quartier remarquable, conçu et réalisé en un laps de temps très court ; en tant qu’artère représentante d’une époque particulière, à travers son patrimoine bâti mais aussi son espace public.

Penser l’espace public du boulevard ne peut donc se faire, d’une part, qu’au regard des constructions qui le bordent et, d’autre part, au regard du quartier dans son ensemble. Agir sur l’un de ces composants doit toujours reposer sur une analyse et une compréhension fine de l’ensemble. Dans le cas d’un quartier comme celui des Squares, l’intérêt historique et patrimonial de ces composants urbains est particulièrement aigu : l’étude de ces deux dimensions est indispensable, préalablement à tout projet de réaménagement.

Or cette étude semble manquer dans la conception du projet en présence. Les aménagements prévus ne tiennent pas compte de l’existant, ce qui devrait pourtant être la règle, qui plus est dans un quartier de reconnu pour son patrimoine exceptionnel. La ville restreint son projet à une vision utilitaire des espaces publics. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne les matériaux utilisés (béton, asphalte, etc.). Il est pourtant possible de concilier amélioration à la mobilité et du partage de l’espace public (pistes cyclables, trottoirs sécurisés, etc.) et respect du patrimoine.

D’autre part, ce projet pose de sérieuses questions en termes de démocratie urbaine : bien que les travaux de réaménagement du boulevard ne commenceraient que fin 2021, la Ville semble s’opposer à toute modification du projet. Le principal argument est le retard que prendraient les travaux si des amendements devaient être amenés.

Les riverains et l’ARAU attendent donc l’enquête publique pour (re)demander à la Ville de respecter la composition, le profil et les matériaux de l’espace public du boulevard, eu égard à sa valeur patrimoniale, paysagère et historique.