Réponses de l'ARAU au questionnaire d'Atenor

Réponses de l'ARAU au questionnaire d'Atenor

Fonctions de la ville

Quelles fonctions promoteurs et décideurs doivent-ils (re)créer ou développer pour la ville ?

Toutes les fonctions coexistent dans la ville. Elles ont été réduites par l’architecte Le Corbusier au slogan : habiter, travailler, circuler, se récréer. L’urbanisme est une discipline relativement récente qui a été confisquée dans les années 60 par des techniciens auxquels les politiques laissaient libre cours au nom de la modernisation. Le problème vient de l’usage qui a été fait des fonctions avec la tertiarisation de l’économie qui s’est traduite sur le territoire par deux phénomènes : la création de zones administratives et la prééminence de la voiture comme mode de déplacement. En appliquant la séparation des fonctions à l’échelle de pans entiers de la ville, l’urbanisme moderne est allé à l’encontre de l’essence même de la ville qui se défini par la cohabitation, à l’échelle du piéton, des fonctions, par leur imbrication, par leurs interrelations et par la continuité entre elles. La question est celle de l’espace qui est dévolu aux différentes fonctions dans la ville, par les plans mais aussi par les décisions quotidiennes d’aménagement comme la délivrance des permis. A Bruxelles, par exemple, les pouvoirs publics se sont engouffrés depuis les années 60 dans les concepts théoriques de l’urbanisme moderniste : la séparation des fonctions et des circulations, la rupture d’échelle,… qui ont produit le quartier Nord, le quartier européen, le quartier de la gare du Midi, au détriment principalement de la fonction de logement. Les quartiers dans lesquels les habitants ont résisté, où ils ont été « anti modernes », comme les Marolles, sont aujourd’hui donnés à voir aux touristes comme bastions de l’identité et de l’authenticité bruxelloise. Le logement mais aussi les équipements et une économie locale y subsistent.

Y a-t-il des lieux (gares, etc) où concentrer certaines fonctions ? Et, si oui, lesquelles ?

Dans un modèle d’organisation de société, comme en Belgique, où il est banal, et même encouragé financièrement et fiscalement par la prise en charge des frais de transport d’habiter loin de son lieu de travail, il semble pertinent de développer des lieux de travail près des gares (mais alors sans parkings!). La théorie ABC, qui caractérise le niveau d’accessibilité des zones est d’ailleurs maintenant à la base du Règlement Régional d’Urbanisme pour ce qui concerne la délivrance du nombre de places de parking. Mais, avec une place pour 200 m2 de bureaux en zone très accessible, le RRU est trop généreux. Il faut aussi gérer un héritage : la destruction des quartiers d’habitation autour des gares, qui étaient des quartiers populaires fragilisés, la construction de grands immeubles de bureaux sans qualité, la dégradation de l’environnement urbain, et surtout le fait que les pouvoirs publics ont continué à délivrer des milliers de places de parking autour des gares et à construire des infrastructures routières en ville et des autoroutes de pénétration. Le quartier Nord est parmi les mieux desservis en transports en commun, et posé sur une gare, mais il est également un de ceux qui comptent le plus grand nombre de places de parking…De plus ce modèle consacre les déplacements pendulaires, la « navette » et entérine des choix résidentiels difficilement soutenables. Le projet de l’ARAU a toujours été de promouvoir la ville comme lieu d’habitat.

Sachant que la plupart des villes importantes présentent un solde important de bureaux inoccupés, faut-il encore construire du bureau ?

A Bruxelles le taux de vacance est actuellement de 12%, ce qui est considéré de l’aveu même du secteur immobilier comme « énorme, inédit et préoccupant » et susceptible d’une évolution vers 14% en 2011 (Nicolas Ort, séminaire « Faut-il un moratoire sur les bureaux ? », 10 février 2010) . Cela représente 1,1 millions de m2 vides (1,5 avec la périphérie, présentée jadis comme un Eldorado exempt des contraintes urbanistiques et fiscales). Certains grands projets neufs et bien situés sont vides, comme les 33.000 m2 de la tour Zenith, dans le quartier Nord ou les 12.500 m2 de Water Front, boulevard Bolivar « dont on se demande si ils seront occupés un jour » (DTZ, séminaire « Faut-il un moratoire sur les bureaux ? », 10 février 2010). Pour l’ARAU, il faut conditionner la production de bureaux neufs à la reconversion des bureaux obsolètes qui génèrent de nouvelles friches improductives, éventuellement par leur reconversion à d’autres fonctions comme le logement, quand c’est qualitativement possible.

Faut-il repenser le développement de certains quartiers ? Ou développer de nouveaux quartiers ?

Oui, il faut rééquilibrer les quartiers existants à travers les décisions quotidiennes d’aménagement. Plus aucun quartier ne doit être sacrifié sur l’autel monofonctionnel comme l’a été encore récemment le quartier du Midi. La Région a ouvert en 2008 avec le Plan de Développement International la réflexion sur les zones d’intérêt régional et a fait réaliser un certain nombre de schémas directeurs. Mais il importe de penser globalement le développement de la Région car certaines décisions, comme l’implantation d’un stade, conditionnent le développement de plusieurs zones. La spécialisation induite par certaines fonctions comme l’industrie urbaine exclue d’autres fonctions et il faut donc lui réserver des espaces enclavés et à l’écart des habitations comme Delta ou Schaerbeek Formation. Par ailleurs certains acteurs, comme le Commission européenne, par l’ampleur de leur développement doivent tenir compte de l’intérêt général. La Commission européenne ne peut en aucun cas légitimer le prolongement de l’autoroute de Namur vers le centre ville à Delta. Ce n’est pas, dans ce domaine, le client qui décide, mais les pouvoirs publics qui doivent orienter le développement. Il serait beaucoup plus pertinent de développer un nouveau pôle européen à Josaphat, comme l’ARAU l’a proposé depuis 1982, voire plusieurs pôles mixtes mais éloigné des quartiers habités. En fait, une fois les hypothèques sur l’organisation de la Coupe du monde de foot levées il faudrait confier à l’administration régionale de la planification l’étude d’un schéma directeur global sur l’ensemble de la Région.

Faut-il envisager un contrôle du foncier ?

C’est une piste pertinente pour éviter une flambée des prix mais difficile à même en œuvre dans une économie de marché. Cependant, les pouvoirs publics peuvent assurer un contrôle direct du foncier par l’implantation de logements sociaux sur tous les terrains publics, y compris dans les Zir, et en partenariat avec tous les développeurs, comme à Tour et Taxis. Dans l’objectif du droit à la ville pour tous un contrôle des loyers pratiqués dans le privé s’impose également. Il devrait être couplé avec une déductibilité fiscale étendue des travaux d’entretien et de rénovation effectués par les propriétaires. Rappelons que Bruxelles est la ville du pays où les habitants sont les plus pauvres et qu’elle ne propose que 8% de logements sociaux (conte une moyenne de 20% dans les pays limitrophes. En France la loi Solidarité Renouvellement urbain impose un quota de 20% de logements sociaux dans chaque commune et un quota de logements à finalité sociale dans les grands projets privés. Ce sont des outils intéressants. Il importe de tirer le marché du logement vers le bas afin d’éviter la pression (des loyers) à la hausse sur les plus pauvres.

Construire la ville

Comment au mieux construire – ou reconstruire – la ville ?

En implantant du logement de qualité partout assortis de lieux de travail à des échelles raisonnables, d’équipements et d’espaces verts, le tout bien desservi par les transports en commun car la voiture tue la ville. Les fonctions qui ont le moins besoin de l’aide financière des pouvoirs publics doivent être encadrées. Parallèlement il faut une forme de « droit de regard » des habitants sur les décisions car ils sont tous concernés par les aménagements.

Pourquoi reconstruire la ville plutôt que l’étendre ?

Il est aujourd’hui inévitable de reconstruire la ville plutôt que de l’étendre du fait de la raréfaction et du renchérissement du coût de l’énergie. La périurbanisation génère des coûts collectifs importants : réseaux, routes, transports en commun, transport de l’eau, de l’électricité, du courrier, égouttage,… ainsi que des nuisances : pollution diverses, de l’air, de l’eau, du paysage ainsi que la concurrence avec les fonctions agricoles et touristiques.

Faut-il préférer l’évolution vers des magapoles ou au contraire vers des réseaux de moyennes ou grandes villes, à dimension humaine ?

Cette question ne se pose heureusement pas en Belgique où il n’y a pas de mégapoles. La Belgique elle même est considérée par les géographes comme une conurbation au nord du sillon Sambre et Meuse. Les villes existantes gagneraient à être organisées en réseaux (option qui a été refusée en Wallonie dans les années 70 du fait du sous régionalisme et de la particratie mais qui fonctionne partiellement à Courtrai-Lille). Mais Bruxelles ne peut être dépossédée de ses compétences. Elle est et doit rester une Région à part entière. La vocation de l’ARAU est d’encourager la vie en ville.

Comment construire la ville en lui gardant son visage humain ?

En organisant des quartiers où chacun dispose de tout à portée de marche à pied et, en même temps où les habitants ne soient pas enfermés mais aient accès à l’ensemble de la ville par les transports en commun efficients et agréables, c’est-à-dire prioritaires dans l’espace public et non enterrés.

Comment assurer un rôle sociétal dans la construction d’une ville ?

Il importe d’encourager la politisation de la population par son accès à des associations, par exemple, aux partis politiques, par sa participation réelle…de créer les conditions de son accès autonome aux enjeux collectifs de l’aménagement et de sa gestion (civisme). Cela passe par l’enseignement, par l’éducation permanente, par la promotion du « vivre ensemble », par le rappel des valeurs de respect de l’autre, de respect de l’espace public, de respect des travailleurs dans l’espace public (éboueurs, balayeurs, facteurs, policiers, ce qui suppose que ces derniers soient à pied dans la rue) de valorisation de l’espace public comme espace politique d’émancipation (et pas seulement d’opposition : tags, graffitis, autocollants, dépôts clandestins), par la confrontation avec autrui dans l’espace public : éviter tous les types de ghettos et donc par l’aménagement. Parallèlement il importe d’accroître les moyens de connaissance comme l’inventaire du patrimoine, par exemple, et de contrôle de la population sur les décisions d’aménagement, tout en en expliquant la complexité. Les enquêtes publiques constituent, à cet égard, un outil perfectible mais inestimable car elles ont permis de créer le débat public sur les enjeux et de faire prendre conscience que les décisions résultent de choix, qui peuvent être différents des erreurs du passé.

Verticalité

La verticalité est-elle la solution au redéploiement contrôlé de la ville ?

Non, il n’y a rien de plus incontrôlé que la verticalité du point de vue urbanistique dans la législation bruxelloise actuelle qui ne comporte pas de limite. Rien de plus incontrôlé non plus du point de vue environnemental et de la durabilité car une tour est une quatre façade sur 40 étages, ce qui suppose une surexposition au vent, au gel, à la pollution atmosphérique, aux substances corrosives, aux infiltrations, etc. Une tour s’use sept fois plus vite qu’un bâtiment entre mitoyens.

La verticalité n’est-elle pas le symptôme d’un ego surdimensionné de la part de ses défenseurs, un objet destiné à donner à voir la puissance de ses promoteurs, une manière phallique de concevoir la ville ?

Oui, l’érection de tours, c’est une conception tout à fait machiste de la ville. Le but de la tour c’est celle de l’affirmation de soi, de son pouvoir sur les autres, à l’instar des petits garçons qui passent tous par le stade des armes factices pour affirmer leur virilité (mais dans ce cas ça passe sans laisser de traces, ce qui n’est pas le cas de l’affirmation de l’ego des promoteurs et des architectes dans le paysage urbain). Une tour ce n’est pas autre chose qu’une bannière publicitaire… et la manière supposée la plus rentable de gagner sur le foncier. Il y a aussi un lien évident entre spéculation financière et construction en hauteur, et, comme chacun sait, les bulles sont susceptibles d’éclater. Le responsable du parti socialiste, qui a fait démolir la Maison du peuple de son ancêtre, du Parti Ouvrier belge, conçue par Victor Horta en 1965 pour construire une tour particulièrement insipide, la tour Stevens, déclarait lors de l’inauguration de l’exposition consacrée à l’oeuvre de Victor Horta, en 1997 qu’il le referait si c’était à refaire. Les pouvoirs publics auraient dû lui interdire cette bêtise monumentale. La tour Stevens sera un jour démolie et on en parlera plus alors qu’on parle toujours de la Maison du Peuple qui exprimait le génie particulier des lieux (une place en pente incurvée), l’espoir incarné par le POB à l’époque et le génie industriel belge. La situation actuelle résulte de l’émulation de l’inculture des décideurs de l’époque et d’un simple calcul de profit à court terme. La densification urbaine à travers la construction de tours est-elle une réponse adéquate aux problèmes fondamentaux auxquels sont confrontées les grandes villes actuelles : mobilité, pollution, insécurité, etc. La ville est une manière de répondre aux enjeux actuels, en particulier par la proximité, la densité, la mixité, la compacité. Mais la densité peut être obtenue autrement qu’en érigeant des tours : en construisant de manière compacte. Une maison mitoyenne consomme 30% moins d’énergie qu’une quatre façades, de même, un immeuble collectif entre mitoyens consomme également moins d’énergie qu’une tour. La tour crée de nouvelles nuisances car elle doit être entourée de grands espaces vides pour s’éclairer et ces espaces sont souvent insécurisants (voir l’avenue de Versailles, par exemple). Quand elle est pourvue d’un parking souterrain elle est susceptible de déverser un grand nombre de véhicules dans l’espace public. Elle est dotée d’installations qui consomment beaucoup d’énergie : grands ascenseurs, systèmes de conditionnent d’air et de ventilation, elles créent des tourbillons de vents et des ombres portées, etc. Ce sont, de plus, des bâtiments qui vieillissent plus vite.

La réponse à la densification galopante des villes actuelles (75% de citadins attendus en 2050 dans le monde) passe-t-elle nécessairement par la construction en hauteur ?

Non, il y a moyen de produire la ville compacte entre mitoyens, on le fait dans les grandes villes espagnoles, par exemple. Le Paris de Haussmann est quatre fois plus dense que Bruxelles.

Faut-il privilégier cette verticalité au développement de nouveaux quartiers et/ou au redéveloppement de quartiers existants ? Si oui, pourquoi ?

Non.

Comment la verticalité peut-elle assurer la mixité des fonctions ? Et la sécurité (ou le sentiment de sécurité) ? Pensez-vous qu’on puisse proposer le modèle des tours comme solution en matière de logement social ?

Il est plus difficile de gérer la mixité des fonctions verticalement qu’horizontalement, le concept de tour est hostile à la mixité. Seul le pied est en général utilisé pour une autre fonction. Les tentatives de mixité de fonctions en toiture ont le plus souvent échoué, de même que les rues intérieures, au mieux semi publiques.

La verticalité est-elle une solution à la question du logement ?

Des tours de logement ne reproduiraient-elles pas, toutes proportions et particularités gardées, les graves problèmes nés des HLM ? On connaît déjà ces problèmes dans certains des rares grands ensembles bruxellois : à Anderlecht, à Laeken, à Molenbeek,…

Des villes comme Dubai, Londres ou Paris (avec ses projets de tours) sont-ils des exemples à suivre en matière de verticalité ?

A Paris, la hauteur est très réglementée d’où les concours d’idées récents qui portent sur une dizaine de zones périphériques (et pas dans le Paris haussmanien). Dubaï n’apparaît pas comme un exemple à suivre car c’est un projet spéculatif susceptible de s’effondrer comme l’a démontré la crise récente. A Londres, la hauteur est aussi limitée, en particulier par les perspectives préservées sur certains monuments comme Saint-Paul. Des quartiers comme Barbican et La Défense ne seraient certainement pas considérés comme des modèles par une grande partie de leurs usagers. La dalle de Lille Europe est un gigantesque courant d’air.

Les tours sont-elles des lieux de vie comme les autres ? Ne tuent-elles pas la convivialité que l’on peut retrouver dans un quartier, par exemple ?

Les tours créent un effet de promiscuité car il n’y a pas d’accès à l’espace public depuis le logement mais l’accès à un couloir généralement dépourvu de lumière naturelle.

La construction de tours peut-elle envisagée dans un sens « écologique » ? Quel est le bilan environnemental d’une telle construction ?

Le bilan écologique des tours reste encore à faire. Même Jean Thomas, promoteur bien connu de la place bruxelloise , déclarait il y a quelques années qu’il n’avait aucune intention de construire des tours du fait du surcoût de construction et du coût exorbitant des charges à répartir sur les co propriétaires. Seul le logement de luxe est susceptible de s’offrir gardiennage et sécurité, palliatifs aux problèmes d’usage générés par cette forme architecturale. Qualité architecturale

Comment définiriez-vous le concept de « qualité architecturale » ?

Tout un programme ! Chaque chapelle architecturale, à commencer par la chapelle néomoderniste en vogue pour l’instant, sera tentée de la définir à l’aune de sa propre production, à l’exclusion de tout autre type d’expression. En réalité, la qualité architecturale est sans doute davantage en rapport avec la qualité de conception des espaces, de la lumière, de la composition architecturale, de la qualité des matériaux employés et de leur mise en oeuvre que de questions stylistiques. Ce qui explique que chaque époque a pu produire quelques bâtiments qui passent à la postérité, généralement ceux pour lesquels ont été déployés des moyens conceptuels importants, au milieu d’une production plus banale. Les cycles de la mode font qu’une société brûle ce qu’elle a adoré. Ceci dit la charte de Venise enseigne qu’il faut concevoir le tissu urbain des villes historiques comme patrimoine…

Comment concilier qualité architecturale et spécificités architecturales d’une ville ?

En travaillant à partir de l’histoire du lieu, du contexte, des ressources locales le cas échéant, en élaborant le programme le plus sensible possible à l’environnement. Les objets architecturaux autonomes et en rupture d’échelle ne sont pas souhaitables.

Peut-on objectiver les données pour la qualité architecturale ?

L’ARAU se base dans ses analyses au cas par cas dans le cadre des enquêtes publiques d’abord sur la fonction proposée et sur la plus value du projet par rapport à la situation existante. D’autres paramètres sont pris en considération : le rapport aux gabarits, à l’alignement, à l’échelle, à la qualité des matériaux employés, au rapport entre verticalité et horizontalité, entre vides et pleins etc. Quel que soit le style architectural, il y a des approches à proscrire comme les rez-de-chaussée aveugles, par exemple.

La qualité architecturale d’un immeuble renforce-t-elle pour les citoyens leur sentiment d’appartenance à une ville et les pousse-t-elle dès lors à la respecter ?

Certainement. La qualité architecturale mais aussi la capacité à identifier ce qu’il contient car c’est ce qui fait sens pour les gens. Il n’y a rien de plus pénible que de chercher une gare. La gare du Luxembourg, par exemple, se trouvait derrière une façade significative de Paul Saintenoy, sur la place du Luxembourg. La SNCB a relégué l’entrée sous la dalle du Parlement européen, à l’écart de la place du Luxembourg. C’est la cas pour de nombreuses gares dont les gens ignorent même qu’elles existent (gare du Congrès, Jonction, Schumann,…).

Comment espérer recruter de nouveaux usagers pour le train dans ces conditions ?

Au XIXème siècle une gare était conçue comme un monument fonctionnel doté d’une verrière destinée à éclairer les quais et située au bout d’une perspective. De même il était impossible de confondre un bureau de poste et une école. Aujourd’hui tout se ressemble. Il y a une grande banalisation, y compris internationalement.

Entre modes, normes urbanistiques et acceptation sociale, comment inventer un nouveau bâtiment, un nouveau quartier ?

Eviter de confier de grands ensembles à un seul bureau d’architectes, au risque d’avoir une approche uniforme qui nuit à la diversité propre à la qualité urbaine. L’approche des pouvoirs publics est parfois nivelante par le bas : tout raboter à 15 mètres de haut pour le développement de Tour et Taxis, par exemple, cela n’a pas de sens. La hiérarchie est fondamentale.

Peut-on objectiver les données pour la qualité architecturale ?

Voir plus haut.

Comment concilier qualité architecturale, mixité (éventuelle) de fonctions et qualité de vie ?

Le débat public sur l’aménagement peut aider car il fonctionne comme un concours d’idées permanent et permet d’améliorer les projets.

La qualité architecturale est-elle suffisante en elle-même pour construire une ville et/ou la redévelopper ?

Non, la qualité globale de la composition urbaine est primordiale. Pour l’ARAU il faut commencer par la réhabilitation et la mise en valeur du tissu urbain traditionnel et de la ville historique car la tabula rasa occasionne une perte de sens pour la population et que la ville est très longue à cicatriser (le plan Manhattan a plus de 40 ans et le quartier Nord n’en est pas encore remis). Même des fonctions qui ont disparu, comme les fonctions ferroviaires à Tours et Taxis, expliquent l’implantation et la conception d’origine des bâtiments. Il faut également tenir compte du relief, des versants, des circulations, etc.

Les concours d’architecte sont-ils la meilleure solution pour une qualité architecturale ?

Ils peuvent contribuer, par comparaison des approches, à trouver de bonnes idées pour un site mais c’est, en amont la qualité et l’adéquation du programme architectural au site qui sont primordiales. Les concours sont nuisibles si ils sont prétextes à soustraire les enjeux au débat public et à faire entériner des projets au nom de l’expertise technocratique. La composition des jurys reflète de plus souvent de vastes offensives de copinage opaque voire des compromis régis par les équilibres particratiques. On a vu ce que cette démarche donnait à Bruxelles : le Juste Lipse, rond point Schuman, pour le Conseil des Ministres de l’Union, par exemple.

Comment concilier qualité architecturale et développement durable ?

On en est au stade des recherches et des tâtonnements. Pour l’instant on parle davantage de gadgets et de vastes opérations de « green wasching ». C’est la conception des constructions qui doit être fondamentalement pensée autrement et cela prendra du temps. Une législation adaptée devrait permettre d’évaluer l’opportunité de procéder à des démolitions de grande ampleur. Dans de nombreux cas il est possible, et même souhaitable du point de vue patrimonial, de procéder à des rénovations légères, qui handicapent à la sortie moins le prix des logements.

Mixité de fonctions

Quelle stratégie urbanistique vous semble devoir être mise en œuvre pour contrer les dangers de dualisation de la ville et / ou de certains quartiers ?

Il faut la même qualité d’aménagement partout. C’est pourquoi il faut rééditer le Manuel des espaces publics bruxellois. Il y a également, à Bruxelles, un enjeu de mixité des populations. Pratiquement tous les indicateurs sociaux sont dans le rouge au delà du canal dans les anciens quartiers industriels qui sont aussi ceux qui disposent de peu d’espaces verts et d’équipements. C’est pourquoi la rénovation urbaine doit poursuivre ses efforts au bénéfice des habitants présents. Il faut développer également la mixité sociale des quartiers nantis du sud est.

La mixité de fonctions est-elle un atout incontournable pour la qualité de la vie en ville ?

Oui, car elle procure aux habitants tout ce dont ils ont besoin sans perdre du temps en déplacements.

Faut-il partout privilégier la mixité de fonctions (bureaux, commerces, logements) ou, dans certains quartiers, privilégier uniquement certaines fonctions (quartiers résidentiels, etc) ?

Certains quartiers ont été sacrifiés à la fonction administrative. L’option de concentrer une grande partie des fonctions européennes à Schuman n’est pas mauvaise car la zone est très bien desservie par les transports en commun mais il importe d’y réintroduire également une certaine mixité afin de rendre ces lieux vivables pour ces usagers et ses habitants. Certaines zones doivent être réservées en priorité à l’industrie urbaine et aux activités portuaires. Mais dans l’essentiel des quartiers il faut promouvoir la mixité fonctionnelle. Rien n’est plus mortellement ennuyeux qu’un quartier résidentiel homogène socialement, à part peut-être un zoning de bureaux vide après 18h00.

La mixité des fonctions pousse-t-elle à la convivialité ?

Oui car la mixité des fonctions crée des occasions de rencontre.

Quelles formes urbaines favorisent-elles au mieux la mixité et « l’embourgeoisement » (au sens d’évolution qualitative d’un quartier) ?

En quoi « l’embourgeoisement » est-il synonyme d’évolution qualitative d’un quartier ? L’embourgeoisement peut aussi être facteur de repli sur soi et les quartiers populaires peuvent aussi être perçus comme « qualitatifs » par leurs habitants. Comment ne pas répéter les erreurs ou évolution du passé pour éviter les ghettos et les antagonismes, au profit d’une cohabitation ?

Est-ce une responsabilité du politique seul ou également des promoteurs et architectes ?

L’ARAU considère que les enjeux de l’aménagement urbain sont des enjeux démocratiques qui relèvent de la responsabilité collective. Ce sont des enjeux trop sérieux pour être laissés à la discrétion des technocrates et des politiques. C’est pourquoi ces questions doivent faire l’objet d’un débat public dans lequel interagissent les trois piliers de la démocratie : le politique qui arbitre, prend les décisions, et les motive, le secteur économique, privé, public ou mixte, qui développe des projets qui répondent aux besoins sociétaux dans le cadre défini par le politique, et la société civile, qui est porteuse des besoins collectifs.

Mobilité

Que recouvre pour vous le mot « mobilité » ?

Beaucoup de choses, de la mobilité automobile au vélo, en passant par la mobilité sociale. Beaucoup pensent : « ma voiture c’est ma liberté » mais il est aujourd’hui avéré que la voiture a un tel impact sur l’accaparement de l’espace, sur la santé public et la pollution atmosphérique qu’il faut en limiter l’usage.

Quelle mobilité pour la ville ?

Le projet de l’ARAU c’est la « ville sans voiture » assortie de « petits trams partout tout le temps ». Tout le monde adore les journées sans voiture : le calme retrouvé, la perte de ce sentiment de tension lié au bruit, l’air redevenu respirable. De nombreuses villes pratiquent régulièrement les journées sans voiture et en sont satisfaites. Cela réduit également les phénomènes de corrosion des façades. En attendant la pénurie de pétrole, qui forcera des choix de mobilité plus rationnels, l’option de l’ARAU c’est la priorité radicale aux transports en commun de surface, aux piétons, aux cyclistes, aux personnes à mobilité réduite.

Que vous inspire le slogan : « moins on circule mieux c’est » ?

C’est un slogan qui fait peur quand il est mal compris. Dans les faits pourtant on arrive du fait de la congestion à une mobilité immobile. Il signifie pour l’ARAU qu’il faut rapprocher à nouveau les fonctions pour réduire le nombre et la durée des déplacements et, surtout, valoriser la ville pour donner envie aux gens d’y (re)vivre.

Y a-t-il une mobilité ou à tout le moins 3 mobilités : urbaine, urbaine et vers la périphérie, longue distance ?

Oui, il y a au moins trois mobilités : la mobilité longue distance (en avion pour les longues distances), en train de centre à centre, intra urbaine, le plus possible en transports en commun, à vélo ou à pied. Les déplacements domicile-travail, généralement en heures de pointe, qui doivent être le moins longs et le moins polluants possible car ils sont nombreux ( d’où l’intérêt de convaincre les gens de vivre dans les villes). Dans le réseau urbain belge, il importe de promouvoir à nouveau, après des années de désinvestissement, les déplacements en chemin de fer de centre à centre. 60% des déplacements à Bruxelles font moins de 5km, c’est pourquoi il ne faut pas y rajouter le temps de parquer une voiture et d’aller jusqu’à l’horodateur, ni des correspondances et des trajets incertains vers les entrailles de la Terre. Ceci dit nous devrions aussi revoir notre relation au temps et au travail.

N’y a-t-il pas autant de types de mobilités qu’il y a de villes, de régions et de pays, avec des solutions différentes, parce qu’une ville n’est jamais tour à fait comparable à une autre ?

Bien sûr , il y a à Lisbonne des funiculaires, des petits trams, des grands trams, des bus, un métro, etc. car il y a de petites rues en pente et de grands boulevards. La malédiction bruxelloise c’est qu’il y a trop de grands boulevards dotés de petits trottoirs.

En ville, quel mode de transport public privilégier, et pourquoi ?

Selon le bon vieux adage de l’ARAU : des « petits trams partout tout le temps » car seuls la fréquence, la visibilité d’un réseau dense et maillé et le confort convaincront les gens d’utiliser les transports en commun. Ceux dont la forme physique le permet gagnent aussi beaucoup à l’usage du vélo : grande liberté de déplacement de porte à porte, vitesse, 0 émissions, absence de problème de parking et de pollution, pratique d’un exercice physique, etc. Pour l’instant, la densité et la vitesse de la circulation en ville constituent un obstacle. Les politiques d’aménagements doivent y remédier.

La problématique du solde disponible (ou non) en énergies fossiles et du développement durable n’oblige-t-elle pas à faire de nouveaux choix en termes de mobilité ? Si oui, lesquels ?

De nombreuses villes interdisent les voitures à carburants fossiles de leur centre ou pratiquent des systèmes de péages urbains comme Londres, d’eco vignette, de zones basses émissions, etc. A Bruxelles nous pourrons reconvertir les nombreux parkings souterrains en bassins d’orage, en champignonnières, en cultures de chicons…

Le défi énergétique La construction « verte », une utopie ou une obligation incontournable face à la réalité ?

Comment penser – ou repenser – la ville pour affronter les défis environnementaux, en particulier pour les nouvelles constructions ?

Les promoteurs sont habitués à construire du jetable, des immeubles qui ont une durée de vie courte. Ils devront révolutionner leur approche, leurs moyens de mise ne oeuvre et les matériaux utilisés. Les églises romanes construites il y a 8 siècle en murs de pierre épais sont toujours là. Les immeubles en mur rideaux en verre des années 70 fuient de toute part. Il faut en tirer les leçons collectives : privilégier la construction réellement durable dans le temps, la reconversion des immeubles existants récupérables, etc. Il faudra à l’avenir éviter de démolir et tirer mieux parti de la capacité de résilience des villes. Les pouvoirs publics doivent empêcher la fuite en avant qui consistent à produire des bureaux neufs alors qu’il n’y a pas de solution pour les bureaux vides.

Construire durable n’est-ce pas aussi bien choisir son lieu de construction, à proximité de nœuds de communications ? (transports en communs, trains, etc. )

Oui mais alors il faut construire sans parking car le fait de disposer d’une place à destination, d’une voiture de société, voire d’une carte d’essence… constituent de puissants incitants à utiliser la voiture.

Construire « environnementalement durable » oblige-t-il les promoteurs immobiliers à revoir leur politique ?

Oui, je pense qu’ils l’ont compris, d’autant que le mot « durable » est un argument de vente, mais ils ne savent pas encore comment faire. La législation sur la performance énergétique des bâtiments devrait les y aider mais l’approche est pour l’instant technocratique ( peu sensible) et insuffisante.

Cette construction « environnementalement durable » représente-t-elle des nouveaux marchés pour les promoteurs et les architectes ?

Oui, des marchés importants. Encore faudra t-il former les architectes et instruire les promoteurs. Cela prendra du temps.