Habiter Bruxelles - les Marolles

Habiter Bruxelles - les Marolles

Les Marolles, quartier d’artisans et d’ouvriers

Quartier d’artisans depuis le Moyen-Âge, les Marolles deviennent aussi, à la fin du 18e et dans le courant du 19e, un véritable quartier industriel : la suppression des ordres religieux contemplatifs, sous Joseph II, libère de grandes surfaces où sont construites des manufactures et de petites industries. Dans leurs alentours s’installent de nombreux ouvriers, entrainant le multiplication des impasses et donc la densification du quartier. Le phénomène s’accélère dans la seconde moitié du 19e en conséquence de deux chantiers : la construction du Palais de Justice et le voutement de la Senne. Dans les deux cas, les habitants chassés par les travaux s’installent pour partie dans les Marolles.

 

L'impasse de Varsovie, une des dernières impasses des Marolles
L’impasse de Varsovie, une des dernières impasses des Marolles

 

Les conditions de vie dans ces impasses sont régulièrement dénoncées : en 1842, Adolphe Quetelet (entre autres statisticien et précurseur de l’étude démographique) publie une carte de l’indigence dans le Pentagone : les Marolles constituent la zone la plus problématique. Face à ce problème, c’est la solution du nettoyage par le vide qui est choisie : des îlots entiers sont expropriés puis démolis afin de créer de nouvelles artères, larges et rectilignes (rue Blaes, notamment). Mais rien n’est encore fait pour reloger les expulsés. Toutefois, la crainte des épidémies et des émeutes, ainsi que la multiplication des enquêtes sur les conditions de logement convainquent la classe dirigeante d’agir : la cité Hellemans (1906-1915), est la première réalisation d’ampleur.

Par la suite, le Foyer bruxellois (voir ci-dessous) construit une série de logements dans le quartier, en lieu et place d’anciennes impasses, qui disparaissent petit à petit. Mais au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le problème est loin d’être réglé : une grande partie des Marolliens vivent encore dans des conditions déplorables ; en marge du quartier, les travaux de la Jonction-Nord midi ont entrainé la démolition de nombreux îlots, dont les habitants n’ont pas tous été relogés. En 1952, le roi Baudouin visite les Marolles, en compagne de l’abbé Froidure. Très médiatisée, cette visite permettra de relancer la lutte contre les taudis et d’accélérer la construction de nouveaux logements.

La cité Hellemans

Entre 1904 et 1906, Émile Hellemans (1853-1926), membre du Conseil supérieur d’hygiène et du Comité de patronage des habitations ouvrières de la Ville de Bruxelles, mène une enquête sur les conditions de salubrité dans les Marolles. Cette enquête révèle la grande misère des habitants de ce quartier, en particulier dans les nombreuses impasses qu’il compte encore. En réaction, le Conseil communal décide de construire un ensemble de petits immeubles à appartements pour remplacer une dizaine d’impasses, qui abritent alors 2.164 personnes. L’idée est ambitieuse : les nouveaux bâtiments devront reloger l’entièreté des expulsés, objectif qui ne sera toutefois pas atteint, notamment parce que les loyers pratiqués seront trop élevés.

Le projet est conçu dès 1906 et les travaux commencent en 1912. Émile Hellemans construit 272 logements traversants qui comportent entre une et trois chambres, un WC, une arrivée d’eau et une cave ! Pour l’époque, c’est une vraie révolution. Le chauffage central ne sera installé qu’en 1985. Les logements sont répartis en sept blocs d’inspiration Art nouveau, séparés par six nouvelles rues rectilignes : une manière de gommer toute référence à l’impasse et de faciliter le contrôle. L’esthétique s’inspire de l’Art nouveau et marie pierre bleue, briques rouges, blanches et jaunes.

C’est la première grande opération au cœur des Marolles, mais aussi la première réflexion bruxelloise en matière de logement social ! C’est aussi un bon exemple d’intégration de logements à forte densité dans le tissu urbain traditionnel… au prix de la disparition d’un îlot entier.

Le Foyer Bruxellois

Si Schaerbeek et Molenbeek créent leur société de logement dès 1899, la Ville de Bruxelles devra attendre 1922. Avec quelques réalisations comme la cité Hellemans, la ville estime en avoir fait assez. C’est seulement sous la pression de la Société nationale des Habitations et Logements à Bon Marché (SNHLBM), du Comité de patronage et de la Province du Brabant (mais aussi de l’urgence électorale) qu’Adolphe Max et son collège fondent le Foyer Bruxellois, qui hérite alors de la cité Hellemans. Sa mission est de taille : les expulsés des grandes opérations d’assainissement n’ont pas encore été tous relogés, et la question des taudis est plus que jamais d’actualité. Pour répondre à ces enjeux, la société décide de poursuivre l’assainissement du centre-ville et de construire une cité-jardin à Haren, commune que la Ville de Bruxelles vient d’annexer.

Le projet de cité-jardin ne sera que très partiellement réalisé. Dans les premières années, le Foyer Bruxellois se concentre surtout sur l’agrandissement de la cité de la Forêt d’Houthulst, près du canal. Quant à la politique d’assainissement des impasses, elle ne reprend réellement qu’en 1929 : un premier immeuble est édifié, rue de la Philanthropie. Le premier grand chantier de démolition et de reconstruction d’un îlot est entamé en 1936 et donne naissance à la cité du Miroir.

 

La cité du Miroir

 

Pendant les Trente Glorieuses, le Foyer Bruxellois sera à la manœuvre pour la réalisation de plusieurs grands complexes, notamment celui du Rempart des Moines, de la rue Haute ou des Brigittines. Rebaptisée Logement bruxellois en 2016, la société se concentre principalement sur la rénovation des ensembles existants (notamment dans les Marolles) et la construction de nouveaux bâtiments, principalement dans les anciennes communes de Haren ou de Neder-Over-Heembeek.

 

Le complexe des Brigittines

La « Bataille de la Marolle »

À la fin des années 1960, le projet d’extension du Palais de Justice menace plusieurs îlots de la partie est du quartier, qu’on nomme « La Marolle ». Insalubre, peuplé surtout de personnes âgées et défavorisées, ses habitants sont ferrailleurs, chiffonniers et commerçants. Le 30 juin 1969, ils sont un millier à recevoir un avis d’expulsion. Mais ils refusent de partir et la bataille s’engage. Jacques Van der Biest, le « curé des Marolles » (et un des fondateurs de l’ARAU !), dénonce le fonctionnalisme du projet tout en insistant sur la richesse que constitue la mixité du quartier. Il crée et coordonne le Comité Général d’Action des Marolles, lequel organise la mobilisation et permet aux habitants de se tenir informés de l’avancée du projet. Cette mobilisation est fortement médiatisée, de sorte que le ministre de la Justice finit par abandonner les plans, dès la mi-août : la Marolle est sauvée ! Pour fêter la victoire, on organise l’enterrement du Promoteur, de son épouse Bureaucratie et de leur enfant Expropriation.

Cette victoire permet aussi aux habitants de se rendre compte que le quartier a urgemment besoin d’être rénové s’il ne souhaite pas tomber sous la pioche des démolisseurs. La « bataille » a favorisé le dialogue entre habitants et politiques, ce qui permet la mise en place d’une vaste opération de rénovation dans le quartier, dans laquelle les Marolliens auront leur mot à dire : est privilégiée la rénovation des logements existants ; les rues doivent conserver leur tracé ancien, et les gabarits rester identiques ; la mixité fonctionnelle du quartier doit être respectée.

La rénovation est lancée en 1970 à travers une opération pilote lancée par l’État et soutenue par la Ville. En tout, 220 logements sont rénovés ou reconstruits par le Foyer Bruxellois, entre les années 1970 et 1990. Les nouvelles constructions (2-10 rue de la Prévoyance) s’alignent sur les bâtiments existants et sont confiées à des architectes différents afin de conserver le côté « melting-pot » du quartier. La Commission des Marolles est chargée de superviser les travaux en prenant en compte les besoins des habitants.

 

Deux immeubles reconstruits rue de la Prévoyance