Habiter Bruxelles - Molenbeek

Habiter Bruxelles - Molenbeek

Le « nouveau Molenbeek » ou « Quartier rural »

Si le vieux centre de Molenbeek, proche du canal et des infrastructures ferroviaires, doit être considéré comme un quartier industriel dès le début du 19e siècle (on parle de « petit Manchester belge »), il n’en va pas de même pour la partie occidentale de la commune, située au-delà de la ligne de ceinture ouest. Urbanisé plus tardivement, c’est ce « quartier rural » ou « nouveau Molenbeek » qui verra les premières réalisations de la Société Anonyme des Habitations ouvrières de Molenbeek-Saint-Jean (voir ci-dessous).

A la fin du 19e siècle, la rareté (et donc le prix) des terrains à l’est de la ligne de chemin de fer pousse certains industriels à s’établir de l’autre côté de la voie ferrée, à proximité de la gare de l’Ouest, où de vastes surfaces sont encore disponibles : pour des entreprises de grande taille, disposer de possibilités d’expansion est en effet très important. En 1883, Delhaize s’installe rue Osseghem et se réserve un quai de déchargement gare de l’Ouest. Elle sera suivie par d’autres entreprises… et par leurs employés ! Certains industriels vont d’ailleurs faire construire des ensembles de logements pour leur personnel : c’est le cas de la chemiserie Coster et Clément.

 

Les maisons construites par la chemiserie Coster & Clément, rue Jules Delhaize

 

Face à ce phénomène, mais aussi à la densification que connait le centre historique de Molenbeek, les autorités mettent au point des plans d’aménagement destinés à cadrer l’urbanisation de cette nouvelle zone ; dans la mesure où les terrains y sont encore abordables, ils y prévoient notamment des quartiers destinés aux logements ouvriers. Les premières réalisations de ce type sont concrétisées par la Société Anonyme des Habitations ouvrières de Molenbeek-Saint-Jean dès 1900, faisant de la Société un important acteur du développement de cette partie de Molenbeek.

La Société anonyme des Habitations ouvrières de l’Agglomération bruxelloise et la cité ouvrière de la rue de Dilbeek

En conséquence de la loi de 1867 sur les sociétés anonymes, plusieurs sociétés de construction et de location de logements ouvriers naissent dans les années qui suivent. En 1868 par exemple, est fondée la Société anonyme des Habitations ouvrières de l’Agglomération bruxelloise, filiale de la Compagnie immobilière de Belgique. Son but est de construire puis de louer aux ouvriers des habitations salubres, pour un loyer inférieur à celui des taudis dont on souhaite les extraire. L’année suivante, elle construit quatre cités, à Anderlecht (cité de la Bougie), Saint-Gilles (cité des Artisans), Schaerbeek (cité de Linthout) et Molenbeek, rue de Dilbeek : édifiées pour reloger les habitants chassés par les travaux de voûtement de la Senne, ce sont les cités ouvrières bruxelloises les plus anciennes.

Ces cités sont bâties sur le modèle des « carrés mulhousien » : en abritant quatre logements par pavillon, l’idée est de leur donner l’aspect d’une maison bourgeoise de taille respectable, qui détonne avec le confort sommaire de l’intérieur (à peine trois pièces). Cette typologie originale et économique tient son nom d’un modèle de maisons développé par Société mulhousienne des Cités ouvrières et présenté à l’Exposition universelle de Londres, en 1851. Un modèle qui sera souvent copié.

Actuellement, seules celles de Schaerbeek et Molenbeek sont encore debout. A Molenbeek, 13 des 16 pavillons initiaux subsistent aujourd’hui ; ils ont été rénovés autour de 2018. Chaque pavillon ne compte plus que deux logements, plus grands. Quant à la Société anonyme des Habitations ouvrières de l’Agglomération bruxelloise, elle existe toujours aujourd’hui sous le nom de Bruxelloise des Habitations.

 

La cité ouvrière de la rue de Dilbeek

Le Logement Molenbeekois

Fondée en décembre 1899, la Société Anonyme des Habitations ouvrières de Molenbeek-Saint-Jean est une conséquence directe de la loi Beernart. Après le Foyer Schaerbeekois, c’est la deuxième société communale de logement fondée à Bruxelles. Suivant les changements de nom de la Société nationale des Habitations et Logements à Bon Marché (SNHLBM), elle devient en 1921 la Société anonyme des Habitations à Bon-Marché de Molenbeek-Saint-Jean et, en 1958, le Logement Molenbeekois. Le premier chantier de la Société se situe à deux pas de la gare de l’ouest : en 1900, 19 maisons sont construites rue Dubois-Thorn, selon les plans d’Émile Lambot, alors architecte communal, auxquelles s’ajoutent 31 maisons en 1902, rue Eugène Degorge. Dans un cas comme dans l’autre, le succès est immédiat : les logements sont directement occupés par des employés et ouvriers des entreprises proches.

 

Les maisons de la rue Eugène Degorge

 

Les constructions vont bon train mais, dès le milieu des années 1920, la Société est forcée de vendre une partie de ses maisons individuelles pour continuer à être subsidiée. Elle concentre alors son activité sur la construction d’immeubles collectifs dont les logements sont loués (cour Saint-Lazare, voir ci-dessous) ; parallèlement, elle construit encore plusieurs cités, dont les maisons individuelles sont directement vendues (cité Gulden Bodem, Accord-Mélodie, etc.).

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Logement Molenbeekois s’oriente résolument vers la construction de barres (par exemple boulevard Edmond Machtens) dont le confort, pour l’époque, est sans commune mesure avec ce qui se faisait précédemment. Dans le centre historique, la politique de lutte contre les taudis se poursuit et se traduit par le remplacement des îlots insalubres par des barres et des tours. Construites à l’économie, certaines ont depuis lors fait l’objet de rénovations lourdes (tour Brunfaut).

Aujourd’hui, le Logement Molenbeekois gère 3340 logements : il s’agit du 2e plus grand parc immobilier de la Région bruxelloise (9% des logements sociaux bruxellois, et 10% des logements de la commune de Molenbeek). Molenbeek est aussi l’une des communes comptant le plus de logements sociaux : 17% des logements de la commune sont concernés (le Logement Molenbeekois n’étant pas le seul acteur en la matière).

François Van Meulecom (1889-1963)

Élève à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, stagiaire pour Jean-Baptiste Dewin (pour qui il travaille pendant dix ans), François Van Meulecom est l’auteur de nombreuses maisons et petits immeubles de style Art Déco et modernistes, principalement dans les communes du sud de Bruxelles. Il passe la Première Guerre mondiale en Angleterre en compagnie de Jean-Jules Eggerickx (lequel concevra plus tard les cités Le Logis et Floréal).

Dans les années 1920, Van Meulecom joue aussi un grand rôle dans le développement du logement social, toujours dans un style Art Déco. Il signe ainsi plusieurs ensembles de maisons ainsi que de petits immeubles, à Saint-Gilles (rue G. Combaz, notamment) et à Molenbeek : pas seulement dans le « quartier rural » (cité du Lierre, Van Meulecom, Accord-Mélodie, etc.) mais aussi à l’ouest de la commune (par exemple rue des Quatre-Vents, rue Évariste Pierron, cité Liverpool), dans le cadre de la lutte contre les taudis.

La cité Diongre

Connu pour ses réalisation Art Déco et modernistes, Joseph Diongre a eu une carrière pour le moins éclectique. Dans les années 1920, il est considéré comme un spécialiste du logement social. À ce titre, il dessine pour la Société anonyme des Habitations à Bon Marché de Molenbeek-Saint-Jean une cité-jardin composée de 60 maisons individuelles et de petits immeubles plurifamiliaux, le tout dans un style régionaliste. Pour renforcer le caractère pittoresque du lieu, il dessine ruelles sinueuses, placettes, passages sous voûtes, etc. L’ensemble est construit entre 1922 et 1925. Vu les instructions de la SNHLBM, les maisons sont directement vendues, tandis que les 92 appartements sont mis en location. Au terme du chantier, Diongre devient par ailleurs l’un de architectes attitrés de la commune.

Avec les cités Nogent et de Saulnier, la cité Diongre fait partie d’un ensemble de trois cités-jardins construites dans les années 20 par la Société anonyme des Habitations à Bon Marché de Molenbeek-Saint-Jean, cités parmi lesquelles elle est sans doute la plus aboutie et la plus harmonieuse : conçues vers 1923, les deux autres ont bien plus subi les restrictions budgétaires de la SNHLBM. En 1983, la cité Diongre a pourtant failli disparaitre : l’état de délabrement des constructions incite la commune à la démolir pour la remplacer par des immeubles-tour. Le choix se porte finalement sur la rénovation lourdes des logements sociaux : seules les façades sont conservées, tandis que les espaces intérieurs sont redistribués pour recréer 81 logements (contre 92 au départ), tous dotés d’une salle de bain !

 

Maisons de la cité Diongre

La cour Saint-Lazare et la cité Van Hemelrijck

Le centre de Molenbeek (et, d’une certaine manière, la population la plus pauvre de la commune) reste longtemps à l’écart des réalisations de la Société anonyme des Habitations à Bon Marché de Molenbeek-Saint-Jean. Et pour cause : les terrains y sont bien trop rares et chers pour rendre les opérations rentables. Mais dans la seconde moitié des années 1920, la réorientation de la politique de la SNHLBM vers la lutte contre les taudis change la donne : des crédits sont débloqués pour les sociétés locales de logement qui s’engagent à démolir les taudis et à construire pour reloger les expulsés.

Plusieurs réalisations naissent de cette politique : à Molenbeek, on peut citer la cour Saint-Lazare (1925-1927) ou encore la cité Van Hemelrijck (1932), deux « casernes » dessinées par Joseph Diongre. D’une grande simplicité architecturale, leur conception va à l’encontre de tous les principes alors prônés pour le logement social : logements rassemblés autour d’une cour, étages multiples, décoration minimale, etc. Il faut dire que l’urgence et le manque de moyens ne laissent pas la place à des réalisations plus ambitieuses. Fait nouveau, ces deux cités seront occupées par des familles très pauvres ce qui, jusqu’alors, n’a que rarement été le cas dans les réalisations de la Société.

La cour Saint-Lazare a été rénové légèrement dans les années 1990, avant de connaitre une opération plus lourde en 2016, au cours de laquelle le nombre de logements a été divisé par deux, afin de répondre aux exigences du confort moderne. La cité Van Hemelrijk a elle aussi été rénovée en 2016.