Habiter Bruxelles - notices générales

Habiter Bruxelles - notices générales

La grande misère du logement ouvrier

Au 19e siècle, Bruxelles est l’un des principaux centres industriels du pays. La multiplication des usines et ateliers transforme rapidement le visage de la ville et de ses faubourgs : l’arrivée de nombreux ouvriers pour faire tourner ces fabriques constitue l’un des principaux facteurs de la hausse démographique que connait alors Bruxelles. Or, rien n’est prévu pour absorber cet afflux de population. Dans les quartiers ouvriers, la demande de logement surpasse souvent l’offre. Au nom du libéralisme, l’État n’intervient pas encore sur ces questions. La construction de logements ouvriers est laissée aux bons soins de l’initiative privée, ouvrant la voie à la spéculation : des propriétaires font construire des ensembles de logements sommaires dans des cours et des jardins, parfois à l’arrière de leur propre habitation : les impasses, présentes à Bruxelles depuis le Moyen-âge, se multiplient. Les conditions de vie y sont tristement célèbres, et les épidémies plus meurtrières qu’ailleurs.

L’insalubrité des logements ouvriers est régulièrement dénoncée par des philanthropes (tel Édouard Ducpétiaux en 1844), mais il faut attendre la seconde moitié du 19e siècle, la montée des tensions sociales et des préoccupations hygiénistes (la Belgique connait trois épidémies de choléra entre 1832 et 1866 : la dernière a fait 3467 victimes à Bruxelles, soit près d’1 habitant sur 50) pour voir l’État intervenir (timidement) en la matière.

Logement social vs accès à la propriété

La première loi concernant (indirectement) le logement social date de 1867 : la loi sur les sociétés anonymes autorise alors les sociétés de construction, vente et location d’habitations ouvrières à prendre le statut de sociétés anonymes, et donc à bénéficier d’avantages fiscaux. Plusieurs sociétés naissent ainsi, notamment la Société anonyme des Habitations ouvrières de l’Agglomération bruxelloise. L’année suivante, elle fait construire quatre cités (Molenbeek, Saint-Gilles, Schaerbeek et Anderlecht) : il s’agit cependant toujours d’initiative privée !

En 1889, la loi Beernaert favorise l’accès à la propriété, via un soutien à l’achat et à la construction. Parallèlement, elle autorise la Caisse générale d’Epargne et de Retraite à intervenir dans le financement de logements ouvriers. Couplée à la loi précédente, celle loi stimule la création de sociétés communales de logement : à Bruxelles, les premières sont le Foyer Schaerbeekois et de la Société anonyme des Habitations ouvrières de Molenbeek-Saint-Jean (1899). Il faut attendre 1919 pour que la Belgique se dote d’une Société nationale destinée à soutenir et encadrer les projets de construction de ces sociétés locales : c’est la Société nationale des Habitations et Logements à Bon Marché (voir plus bas).

Au sortir du second conflit mondial, c’est à nouveau l’accès la propriété privée qui est favorisé, grâce à la loi De Taeye (1948), qui crée de nouvelles aides publiques à la construction et à l’achat, et participe ainsi à l’étalement urbain de l’après-guerre. Le logement social n’est pas en reste puisque, l’année suivante, le Gouvernement vote le Fonds national du logement (ou « Fonds Brunfaut », 1949) : grâce à ce fonds, la SNHLBM peut désormais lancer de grandes opérations grâce à des emprunts à long terme garantis par l’État. Ce fonds va permettre la relance de la lutte contre les taudis : dans les quartiers populaires, des îlots entiers sont rasés pour faire place à des ensembles de tours et de barres.

Devenue compétence régionale, le logement a plus récemment fait l’objet de plusieurs plans : en 2004 tout d’abord, le Plan régional du Logement prévoit la construction de 3500 logements sociaux et de 1500 logements moyens. Dix ans plus tard, et alors que les objectifs du premier plan ne sont pas encore atteints, un second plan est lancé : Alliance Habitat prévoit cette fois 6720 logements publics, dont seulement 45% de logements sociaux. Plus récemment, la Région a lancé son Plan Urgence Logement pour 2020-2024, lequel devra permettre de loger 15.000 ménages bruxellois via la rénovation et la construction de logements, en soutenant tans les locataires que les futurs propriétaires.

La Société nationale des Habitations et Logements à Bon Marché (SNHLBM)

Après la Première Guerre mondiale, la Belgique est dirigée par un gouvernement d’union nationale (libéraux, catholiques, socialistes), chargé de remettre le pays sur pied. On estime notamment nécessaire de reconstruire entre 200.000 et 300.000 logements. Dès 1919, sous la pression des socialistes, une loi fonde la Société nationale des Habitations et Logements à Bon-Marché : son rôle est de financer les projets de construction des sociétés locales de logement et des coopératives de locataires, via des prêts à faibles taux. En outre, elle édicte et fait respecter les normes qui définissent la typologie de l’habitat à bon marché et son accès.

C’est le modèle de la cité-jardin qui est retenu comme idéal pour le logement social ; de nombreux ensembles sont construits selon ce principe. Mais dès 1926, à la suite d’un changement de majorité politique (désormais catholique et libérale), les activités de la SNHLBM sont freinées. Les cités-jardins sont jugées trop couteuses. Les coopératives de locataires perdent une partie de leurs avantages fiscaux et les sociétés locales de logement sont incitées à vendre leurs biens pour continuer à être financées. Via de nouveaux subsides, la SNHLBM réoriente ses activités vers la lutte contre les taudis et leur remplacement par de petits immeubles plurifamiliaux, qui deviennent le modèle-type du logement social.

En 1949, dans une optique de reconstruction rapide et bon marché, les activités de la SNHLBM connaissent un second souffle grâce au vote du Fonds national du Logement (ou « Fonds Brunfaut »). La construction en hauteur s’impose comme solution : c’est l’heure de gloire des architectes modernistes. En 1956, la SNHLBM prend le nom de Société nationale du Logement (SNL).

En 1985, dans le cadre de la fédéralisation de l’État belge, le logement devient une compétence régionale : à Bruxelles, on fonde la Société du Logement de la Région bruxelloise (SLRB). Quant à la SNL, elle est officiellement dissoute en 1990.

Essor et essoufflement des cités-jardins bruxelloises

Les cités-jardins bruxelloises sont directement calquées sur la « garden-city » anglaise, telle que théorisée par Ebenezer Howard en 1898 dans son essai Tomorow, A Peaceful Path to Real Reform. Il conçoit la cité-jardin comme une nouvelle forme d’urbanisation permettant de bénéficier à la fois des bienfaits de la campagne (air sain, approvisionnement, contact avec la nature) et de la proximité de la ville. Gérée par des coopératives, elle est aussi l’expression de nouveaux idéaux sociaux et communautaires.

C’est ce modèle qui est choisi par la SNHLBM, début des années 1920, comme l’idéal-type du logement social. Composée de maisons individuelles, entourée de verdure, elle se veut l’exacte opposée de l’impasse surpeuplée d’où l’on cherche à extraire l’ouvrier. C’est pour cette raison que, dans un premier temps, la SNHLBM rejette en bloc les immeubles collectifs, qui rappellent selon elle la promiscuité et le manque d’hygiène des taudis.

Ainsi, des sociétés communales de logement, mais aussi des coopératives de locataires, sont soutenues par la SNHLBM dans la construction de cités-jardins. La SNHLBM opère par ailleurs des tests de nouveaux matériaux et techniques afin de construire ces cités rapidement et économiquement. Leur programme est toutefois moins ambitieux que celui de la « garden-city » d’Howard : il s’agit surtout de quartiers résidentiels périphériques, proposant des équipements de base (école, laverie, bureau de poste, commerces, etc.) et quelques installations culturelles… lesquels ne seront d’ailleurs pas tous réalisés.

Jugé trop onéreux dès le milieu des années 20, le modèle de la cité-jardin est abandonné par la SNHLBM. Il connait une certaine renaissance durant les Trente Glorieuses : des quartiers de maisons individuelles sortent de terre dans les communes de deuxième couronne. L’idéal social et communautaire, qui caractérisait les premières cités-jardins, est toutefois totalement absent de ces nouveaux projets.