Quel projet de ville derrière la transformation de l’"ex bâtiment Actiris" en "The Dome" ?

Quel projet de ville derrière la transformation de l’"ex bâtiment Actiris" en "The Dome" ?

La « phase immobilière » du piétonnier bat son plein. Dernier projet en date : la conversion de l’ancien bâtiment d’Actiris à la Bourse en un ensemble mixte (logements, bureaux, commerces) visant un tout autre public que celui qui le fréquentait il y a encore quelques années. La Région, qui l’a vendu à un promoteur privé en 2018 sans aucune « clause sociale », a décidé de laisser faire le marché… L’ARAU s’inquiète de l’absence d’encadrement de ce projet et demande un minimum de logements sociaux et des commerces de proximité pour les habitants.

La commission de concertation a récemment rendu un avis favorable, sous conditions, au projet « The Dome » consistant, moyennant une rénovation lourde et des démolitions « partielles » non négligeables, à transformer l’ensemble autrefois composé de 16.180 m² de bureaux et de 2.341 m² de commerces en 7.647 m² de bureaux, 2.096 m² de commerce de détail, 3.419 m² de grande distribution spécialisée et 5.585 m² de logements.

Dans son avis, transmis à la commission de concertation le 7 octobre dernier, l’ARAU relevait 4 points particulièrement problématiques :

  1. La cession par la Région du bâtiment au privé sans aucune « clause sociale », c.-à-d. sans qu’aucun quota de logements abordables ne soit imposé dans les conditions de vente
  2. La typologie des logements prévus dans le projet : de petits logements en coliving, configuration « idéale » pour de l’appart-hôtel ou du Airbnb
  3. La présence de « mégastores » et d’un « mégahoreca » dans un quartier où l’offre horeca est déjà surabondante
  4. Des démolitions conséquentes que rien ne justifie

Sur ces 4 points, seul le 2e a fait l’objet d’une condition dans l’avis de la commission de concertation : « proposer une diversité de logements plus importante en proposant davantage de logements de grande taille, afin de permettre à des familles de s’installer ». Cette condition répond à notre demande que le projet comporte des typologies plus variées de logements (moins de studios, plus de logements plus grands).

Le péché originel : la cession du bâtiment au privé sans « clauses sociales »

Concernant notre demande de production de logements sociaux au sein du projet, la commission de concertation a estimé que « le propriétaire est un acteur privé, il est donc libre de proposer ou non un certain type de logements, le besoin de logements sociaux à Bruxelles est réel mais le besoin de logements d’autres catégories l’est également ». Il faut ici rappeler que le bâtiment était propriété de la Région mais qu’elle l’a vendu au privé sans imposer des quotas minimaux de logements « abordables ». Ce « péché originel » peut être partiellement corrigée par l’affectation des charges d’urbanisme à la production de logements sociaux au sein du projet : en cas de délivrance du permis, l’ARAU demande que l’entièreté des charges soient consacrées à la création de logements sociaux.

« Mégastores » et « mégahoreca » : la Ville de Bruxelles laisse libre cours au marché sur le piétonnier

Sur la présence de « mégastores » et d’un « mégahoreca », l’avis de la commission de concertation se contente de mentionner que « la structure proposée des deux grands commerces permet une division future offrant la possibilité d’installer de plus petits commerces ». Or, l’offre horeca dans le quartier est déjà surabondante et elle pourrait encore croitre fortement si le projet de Beer Palace est mené à son terme. Plus globalement, c’est toute la (non) politique commerciale de la Ville de Bruxelles sur « son » piétonnier qui doit être questionnée et (ré)orientée pour répondre aux besoins des habitants en matière de commerces de proximité.

Absence de bilan environnemental malgré des démolitions conséquentes, qui peuvent être évitées

Dernier point soulevé dans l’avis de l’ARAU, des démolitions conséquentes qui ne sont justifiées par les promoteurs et l’étude d’incidences que par une « simplification et un raccourcissement de certaines phases du chantier ».

Ces avantages (pour le promoteur) n’ont pas été mis en balance avec les impacts négatifs d’une telle opération de démolition-reconstruction. En d’autres termes, aucun bilan environnemental n’a été réalisé alors que politiques et administrations ne cessent de déclarer que de tels bilans sont désormais imposés aux promoteurs…

Conclusion : on peut (et il faut !) maîtriser l’évolution du centre-ville ; un bâtiment aussi central mérite une destination répondant aux intérêts de tous les Bruxellois

Pendant plus de 30 ans le bâtiment Actiris a rempli une fonction de service public en plein cœur du centre-ville de Bruxelles. Si l’on peut convenir que ce site mérite une restructuration l’intégrant mieux à son environnement, l’on peut également regretter l’orientation que prend Le projet « The Dome » en répondant à un tout autre intérêt (celui du marché) et tout autre objectif (attractivité du centre-ville pour un nouveau public).

Par ailleurs, les autorités ne peuvent, sous prétexte de réversibilité d’un point de vue de la répartition des différentes surfaces du bâtiment, accepter un projet aux dérives possibles très tangibles, d’un point de vue soci(ét)al (typologie de logements flirtant avec le public d’appart hôtel, profils de grandes surfaces commerciales attractives pour de grandes chaînes plutôt que pour de petits commerces…). Les discours sur la possible adaptabilité future à d’autres formes de logements ou de commerces ont des conséquences directes : l’absence de décision en termes de visée sociale d’un projet urbain au cœur de la ville, et le renoncement à l’encadrement du projet présent. Miser sur la seule possibilité de réversibilité est un leurre. La reconversion d’un bâtiment aussi important en plein centre-ville revêt une occasion de réfléchir aux besoins sociaux des quartiers l’environnant, et au projet de ville que l’on souhaite pour le centre de Bruxelles.

Le cas de « The Dome », mais aussi ceux de la tour « Centre Monnaie » et du bâtiment « Grétry » (2 cas où la Ville de Bruxelles a encore moins encadré la cession) doivent servir d’exemples pour les projets à venir. On pense bien sûr à l’« Hôtel Continental » place De Brouckère, propriété de la Ville de Bruxelles où sont logés certains de ses services qui déménageront prochainement dans le nouveau centre administratif. La Ville a d’ailleurs déjà lancé un appel à bail emphytéotique en direction du privé…