La STIB veut achever le quartier Stalingrad-Lemonnier (avec la bénédiction de la Ville de Bruxelles ?)

La STIB veut achever le quartier Stalingrad-Lemonnier (avec la bénédiction de la Ville de Bruxelles ?)

Dans le cadre du projet de métro 3, la STIB envisage la démolition d’une importante partie du Palais du Midi pour construire un tunnel de 120 m sous l’édifice. Ces travaux seraient un coup fatal pour des quartiers qui peinent déjà à survire depuis le lancement, il y a près de quatre ans déjà, du chantier pharaonique de la station de métro Toots Thielemans.

Le 10 février dernier, on apprenait par la presse que la STIB envisage le « démontage partiel du Palais du Midi » pour poursuivre le chantier de construction du tunnel qui, selon les plans du permis de la station Toots Thielemans, doit passer sous l’édifice. Ce chantier est à l’arrêt depuis plusieurs mois : d’après la STIB, le consortium d’entrepreneurs chargés des travaux (la S.M. Toots, composée de BESIX, Jan De Nul et Franki Construct) demanderait une « rallonge » de 170 millions et de 8 ans pour « poursuivre les travaux sous le Palais du Midi en adaptant la technique actuelle à la réalité du terrain » ; une demande que la STIB juge inacceptable. Avant d’exposer les conséquences, dramatiques, qu’aurait le « démontage » du Palais du Midi, il faut tenter de comprendre comment on en est arrivé à cette situation.

Des avertissements répétés… et connus de la STIB !

Dès 2016, la Foundation for the Urban Environnement et la Commission royale des monuments et des sites (CRMS) avaient averti des risques de creuser un tunnel sous le Palais du Midi. Un an plus tard, le rapport d’incidences de la modification du Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS) liée au projet de métro 3 avait lui aussi mis ces risques en évidence : « les différentes techniques de chantier qui seront employées dans cette Section du projet peuvent, par mauvaise coordination, entraîner des désordres du bâti existant, compte tenu de la nature du sous-sol (argiles alluviales, …), en particulier lors du passage sous le Palais du Midi. » Dans une autre partie de ce rapport, on pouvait aussi lire que « Le projet risque de mettre en péril du patrimoine à l’inventaire (désordres dans la structure ou dans l’enveloppe du bâtiment), par le creusement du tunnel sous le Palais du Midi. »
Ces éléments étaient publics, et donc forcément connus de la STIB et du bureau chargé de réaliser l’étude d’incidences dans le cadre de la demande de permis : en a-t-il été (suffisamment) tenu compte ?

Problèmes de communication, manque d’étude et précipitation

Comme tout projet d’une certaine ampleur, la demande de permis de la STIB pour la station Toots Thielemans et ses tunnels de connexion aux infrastructures existantes a fait l’objet d’une étude d’incidences (EIE). Comme son nom l’indique, cette EIE, clôturée le 18 mai 2018, avait pour but de pointer les incidences (impacts) du projet, tant en phase de chantier qu’en phase d’exploitation. Dans le chapitre « sol et eaux » de cette EIE, on pouvait lire que

 

il sera indispensable de réaliser une étude du contexte hydrogéologique et géotechnique au droit de la zone de chantier préalablement à la réalisation du chantier, étude non disponible à ce stade de l’étude d’incidences

Autrement dit, un élément important faisait défaut pour appréhender correctement les incidences du projet. Le 31 août 2018, la STIB répond de la manière suivante aux recommandations de l’EIE : « Deux études géotechniques de grande ampleur ont été réalisée entre 2015 et 2017 afin de vérifier les caractéristiques géotechniques des terrains rencontrés. Un monitoring constant sur la période Q1/2017 à Q1/2018 a permis de mettre en évidence les variations saisonnières de la nappe superficielle située dans les terrains alluvionnaires. Le cahier des charges des travaux incorporera un monitoring continu des tassements du Palais du Midi et du bâti environnant ainsi que les seuils d’avertissement et d’intervention. » Pourquoi ces études, réalisées entre 2015 et 2017, soit bien avant la clôture de l’EIE, n’ont-elles pas été portées à la connaissance du bureau chargé de l’EIE ?

Outre ce « problème de communication », il faut également rappeler que l’EIE n’a pas porté sur le projet définitif mais sur une version antérieure, sensiblement différente. En effet, entre la demande de permis, déposée par la STIB le 23 septembre 2015, et le dépôt de la version amendée, le 29 juin 2018 (après la clôture de l’EIE), le projet a été considérablement modifié. Concernant le passage sous le Palais du Midi, la STIB a décidé de changer les plans et le mode d’exécution. Dans sa réponse aux recommandations de l’EIE, la STIB indique qu’elle a prévu « une modification de la technique d’exécution pour passer sous le Palais du Midi en remplaçant la technique de congélation par la technique de reprise en sous-œuvre ».

S’il n’y a rien de « répréhensible » à modifier des projets pendant ou après la réalisation d’une EIE (qui a aussi pour rôle de faire évoluer les projets), l’ampleur des changements apportés dans ce cas-ci pose toutefois question. C’est pourquoi l’ARAU avait demandé, dans le cadre de l’enquête publique sur la demande de permis, organisée entre le 8 novembre et le 7 décembre 2018, que soit réalisé un complément à l’EIE pour analyser les modifications apportées au projet initial. Cette demande ne trouvait pas écho dans l’avis de la commission de concertation, publié le 22 janvier 2019, ni dans le permis d’urbanisme, délivré seulement 4 mois plus tard (le 24 mai 2019, soit… 2 jours avant les élections régionales !) : un délai « record » à Bruxelles, surtout pour un si « gros » dossier. Ce refus de procéder à des approfondissements des études a-t-il été motivé par la volonté politique d’aller au plus vite, de « bétonner » le projet avant les élections régionales ? Le secrétaire d’Etat en charge de l’urbanisme, Pascal Smet, ministre de la mobilité au moment de la délivrance du permis, n’a en tout cas jamais fait mystère de l’intention de rendre le projet irréversible, comme il le confiait notamment dans le film documentaire Stalingrad, avec ou sans nous ? :

 

on avait décidé de rendre tout irréversible. On a prévu de l’argent, on a signé les contrats, délivré les permis (…). Et pour éviter que celles et ceux qui étaient contre le métro bloquent tout le dossier – parce que c’est typiquement bruxellois : on veut quelque chose et ça prend vingt ans pour le réaliser – j’ai voulu que ça avance (…) et on a fait en sorte que c’était irréversible.

 

Pouvoir établir les responsabilités des uns et des autres (STIB, entrepreneurs, responsables politiques, administration…) est important : cela nécessite de rendre publics tous les documents utiles, en particulier le cahier des charges transmis aux entrepreneurs par la STIB. Mais au-delà de cette question de « bonne gouvernance » se pose très concrètement celle de la survie d’un quartier.

Démolir le Palais du Midi, le coup de grâce pour le quartier Stalingrad-Lemonnier

Dans sa communication, la STIB parle d’un « démontage partiel du Palais du Midi ». Sous ces termes qui se veulent rassurants se cache (bien mal) rien moins qu’une opération de démolition pure et simple. Dans une lettre ouverte du 15 février, la CRMS alerte : « l’intervention alternative reviendrait à détruire pratiquement un tiers du Palais, en particulier à l’angle Lemonnier / Van der Weiden et au droit du Passage du Travail. Outre le fait que c’est un scénario extrêmement destructeur, la CRMS s’interroge sur son réalisme. Comment se ferait par ailleurs l’accès au chantier ? Nécessiterait-il aussi la démolition et la reconstruction d’une partie des façades pour permettre le passage et le travail des engins de chantier ? »

Jusqu’à présent, la STIB n’a pas donné plus d’informations que ce qui suit :

 

L’alternative actuellement sur la table consiste à passer par l’intérieur du palais du midi et construire le tunnel avec des parois moulées, comme cela a été fait dans les autres zones du chantier. Cependant, cela nécessite l’utilisation de grandes machines, et une partie du Palais du Midi devrait être partiellement démontée pour permettre à ces machines de travailler. Dans ce cas les façades seraient conservées et le bâtiment pourrait bénéficier d’une rénovation en profondeur après les travaux. Le coût et le calendrier de cette option devront être estimés avant toute décision. De même que les impacts pour le quartier.

Telles sont en effet les questions essentielles auxquelles il faut apporter des réponses avant toute décision. Ce qui est certain, c’est qu’une démolition du Palais du Midi, même « partielle », porterait un coup fatal à la (sur)vie du quartier déjà très durement touché par les travaux de grande ampleur en cours depuis près de 4 ans.

Le Palais du Midi est « un “symbole”, un “patrimoine”, un “poumon pour les jeunes” » : il abrite des salles de sport mais aussi deux écoles et des dizaines de commerces. La cessation de ces activités durant les longues années que prendraient la démolition, la construction du tunnel puis la reconstruction du bâtiment signifierait tout simplement la mort du quartier, comme le disait le représentant des commerçants Nour Eddine Layachi le 14 février dernier : « Concernant le Palais du Midi, c’est dramatique car vous ne pouvez pas annoncer à un commerçant qui a passé sa vie à construire un projet qu’il doit quitter du jour au lendemain. Surtout, qu’il ne sait pas pour quand, comment et pour combien de temps. Au-delà de ça, un commerçant travaille dans un environnement. C’est tout un quartier qui va être impacté. »

Une opération de démolition-reconstruction qui ferait les affaires de la Ville de Bruxelles ?

Bien que propriétaire du Palais du Midi, la Ville de Bruxelles n’a, jusqu’à présent, que très timidement réagi à la proposition de la STIB. Certes, l’échevin du Commerce de la Ville de Bruxelles, Fabian Maingain, a déclaré que « les commerçants ne peuvent être une variable d’ajustement de la STIB » mais il n’a pas pour autant exclu le scénario de la démolition-reconstruction…
La Ville de Bruxelles pourrait-elle voir dans cette opération une opportunité de « rénover » le Palais du Midi ? Une opération qui serait, qui plus est, financée par la Région puisqu’elle rentrerait dans le cadre du projet, régional, du métro 3 ? Cette démolition-reconstruction pourrait-elle aussi constituer une opportunité de changer la destination du Palais du Midi et d’en faire, à l’instar de ce que la Ville de Bruxelles a décidé pour la Bourse, une attraction touristique ? Attraction dont la « gestion » serait confiée à un « partenaire » privé via la vente ou la « mise en location » par bail emphytéotique du Palais du Midi ? Pour mettre fin à ces interrogations, légitimes au regard de la manière dont elle a géré ses propriétés sur le piétonnier, la Ville de Bruxelles doit prendre des engagements clairs et fermes, en soutenant habitants et commerçants présents : elle doit refuser la démolition du Palais du Midi et garantir le maintien des activités (salles de sport, écoles, commerces) qu’il abrite actuellement.

Conclusion : prendre la voie du « Prémétro + »

A travers sa communication, la STIB propose, comme alternative à un chantier long et coûteux, un chantier long, coûteux ET destructeur… Il est bien sûr tout à fait possible que les 170 millions et les 8 ans que les entrepreneurs auraient demandé soient revus à la baisse, suite à des négociations, et que le scénario du « démontage partiel du Palais du Midi » soit alors abandonné. Il n’empêche que le gouffre financier qu’est le projet de métro 3 ne cesse de se creuser ; une semaine avant la communication de la STIB sur le Palais du Midi, le ministre des finances, Sven Gatz, avait annoncé que le coût prévu du métro 3 s’élevait désormais à 2,65 milliards, soit 400 millions de plus que l’estimation faite il y a à peine plus d’un an. Outre ce dangereux « dérapage » budgétaire, le projet de métro 3 a bien d’autres défauts rédhibitoires : dégradation du service pour de nombreux usagers des transports en commun, impacts des travaux sur la (sur)vie de quartiers entiers, bilan carbone catastrophique… Depuis 2012, l’ARAU demande l’arrêt de ce projet au profit d’une alternative consistant à améliorer l’exploitation des infrastructures existantes en mode prémétro. Le coup d’arrêt du chantier sous le Palais du Midi doit être vu comme une opportunité pour tourner la page de la « métroïsation » et se lancer dans le déploiement d’une alternative. C’est dans cette perspective qu’un groupe de réflexion et de travail s’est constitué pour élaborer une proposition détaillée d’amélioration de l’axe Albert-gare du Nord, pouvant être rapidement mise en œuvre : le Prémétro +, qui sera présenté publiquement très prochainement !