Hôtel Continental : la résilience à la sauce du marché

Hôtel Continental : la résilience à la sauce du marché

Bureaux, commerce, horecas, zéro logement (et donc zéro logement abordable) : encore un projet immobilier privé sur le piétonnier ? Non, c’est le programme de la demande de permis introduit par la Ville de Bruxelles pour l’Hôtel Continental, dont elle est propriétaire… Un projet qui s’inscrit parfaitement dans la dérive « touristico-commercialo-événementielle » du piétonnier. Au lieu d’y contribuer, la Ville de Bruxelles doit la combattre en gardant la maîtrise de l’immeuble et en y développant des fonctions qui répondent aux intérêts des habitants : il en va de son devoir d’exemplarité !

 

Réhabiliter de l’hôtel continental [sic] par le développement de ses potentiels en vue d’y accueillir des activités répondant aux ambitions d’une ville dynamique, résiliente et accueillante.

C’est en ces termes « inspirés » qu’est libellé le descriptif de l’enquête publique (qui se termine ce jeudi 20 avril) portant sur la demande de permis pour la réaffectation de l’Hôtel Continental, place De Brouckère, bâtiment bien connu du grand public pour sa « fameuse » enseigne Coca-Cola. Cet immeuble, propriété de la Ville de Bruxelles, accueillait jusqu’il y a peu les services de sa régie foncière, récemment déménagés dans le nouveau centre administratif Brucity. L’idée de la Ville de Bruxelles n’est pas de « gérer en propre » les activités qui viendraient remplacer les services de la régie foncière mais de confier la gestion à un acteur privé via un bail emphytéotique d’une durée de 50 ans. La Ville avait déjà lancé un tel appel au marché en 2021, sans recevoir d’offre jugée satisfaisante : elle remet donc le couvert avec un nouvel appel (valable jusqu’au 11 juillet). Pour « encadrer » le projet privé qui prendrait place dans l’Hôtel Continental, la Ville de Bruxelles a introduit une demande de permis pour changer la destination de l’immeuble et lui conférer de nouvelles fonctions.

La Ville de Bruxelles continue à privilégier les « visiteurs » aux habitants

La demande de permis porte sur la « mutation » de plus de 3.500 m² d’« équipements d’intérêt collectif ou de service public » en un projet mixte comprenant horecas, commerce, bureaux et « activités de production de biens immatériels », répartis de la manière suivante :

En image, cela donne ceci :

La Ville de Bruxelles justifie ces nouvelles affectations par son souhait de « valoriser le bâtiment dans la logique des réflexions engagées en lien avec la stratégie de développement des boulevards centraux et inclure cet ensemble dans la dynamique urbaine. » (note explicative, p. 3)
Traduction : la Ville de Bruxelles entend faire de l’Hôtel Continental un élément de sa « politique d’attractivité » en œuvre sur le piétonnier. L’ARAU a, à de nombreuses reprises, dénoncé les risques pour l’habitabilité d’un piétonnier archidominé par les fonctions « touristico-commercialo-événementielles » : loin de mettre des freins ou des garde-fous à ces dérives portées par le marché, la Ville de Bruxelles a, au contraire, décidé de les encourager, comme nous le mettions récemment en évidence à travers notre étude « Le piétonnier… et maintenant ? ».

Le projet de « réhabilitation » de l’Hôtel Continental vient donc, un peu plus, balayer les promesses d’un équilibre entre les « visiteurs » et les habitants du centre-ville, promesses maintes fois répétées par le bourgmestre Philippe Close mais que les faits continuent, invariablement, de contredire.

« Nous allons mettre un stop à l’horeca »

C’est en ces termes que s’exprimait, il y a à peine plus d’un an, l’échevin en charge du commerce Fabian Maingain dans le journal l’Echo en parlant du piétonnier. Force est de constater que cette déclaration a mal vieilli puisque le projet de la Ville de Bruxelles pour l’Hôtel Continental compte deux horecas s’étendant sur pas moins de 1.754 m², soit 55,8 % de la superficie totale ! Comment expliquer ce revirement si ce n’est par une subite amnésie collective des édiles bruxellois, leur faisant oublier le rapport dressé par le schéma de développement commercial, qui avait constaté une surreprésentation de l’horeca sur le piétonnier, comme le montre le graphique ci-dessous ?

Ces mêmes édiles n’ont manifestement pas non plus pris connaissance du rapport d’incidences sur la demande de permis qui met lui aussi en évidence la « domination » de l’horeca dans la zone d’étude :

La Ville de Bruxelles pourra certes arguer que les nouvelles fonctions qu’elle veut développer dans l’Hôtel Continental sont conformes aux prescriptions du Plan Régional d’Affectation du Sol (PRAS). Mais ce serait là confondre ce qui est permis avec ce qui est souhaitable…

Les limites du PRAS

Bien qu’inscrit en zone d’habitation du PRAS (avec un liseré de noyau commercial en surimpression), le projet de « réhabilitation » de l’Hôtel Continental ne comprend aucun logement !

Cette « incohérence » n’est malheureusement pas une surprise quand on connaît les largesses des prescriptions du PRAS, qui ont notamment permis l’installation du centre commercial Docks en… zones d’industries urbaines ! La Région s’est récemment lancée dans une de révision complète de cet outil réglementaire : l’ARAU, qui suit de près ce processus, ne manquera pas de formuler des propositions visant à empêcher de telles distorsions de l’« esprit du règlement ».

Ces considérations « technico-juridiques », souvent mises à l’avant-plan par les promoteurs privés pour défendre leurs projets sous le seul angle de leur légalité, ne doivent pas faire oublier que la « réhabilitation » de l’Hôtel Continental est un projet de la Ville de Bruxelles : la mission d’un acteur public n’est pas la recherche de la rentabilité ou de l’« attractivité » mais celle de l’intérêt général, en premier lieu celui des habitants.

A propriété publique, fonctions publiques

L’ARAU répète inlassablement que les terrains et les bâtiments publics ne doivent accueillir que des fonctions publiques. Le foncier public disponible ne cesse de se raréfier alors que les besoins de logements et d’équipements publics ne cessent de croître. Dans ce contexte, céder des bâtiments ou des terrains publics au privé est inadmissible, même si cette cession n’est que temporaire dans le cas d’un bail emphytéotique (qui peut toutefois durer jusqu’à 99 ans !). L’Hôtel Continental n’est malheureusement pas un cas isolé : la Ville de Bruxelles est coutumière de ces cessions au privé (sur le piétonnier : rez-de-chaussée du bâtiment Grétry, tour « Centre Monnaie ») et il est légitime de s’inquiéter pour les autres bâtiments qui, à l’instar de l’Hôtel Continental, ont été vidés de leurs fonctions publiques, déménagées à Brucity.

Au lieu de répondre aux demandes du marché, la Ville de Bruxelles doit répondre à celles de ses habitants. En premier lieu, du logement abordable, en particulier social (pour rappel, près de 50.000 ménages sont inscrits sur la liste d’attente). La note explicative écarte la possibilité de créer des logements dans l’Hôtel Continental d’une manière pour le moins succincte et sans apporter de justifications sérieuses : « La morphologie de l’immeuble forlant [sic] la proue ne permet par ailleurs pas de créer des logements rationnels de qualités répondant aux besoins contemporains ». Le rapport d’incidences ne questionne même pas cette assertion : on n’y trouve d’ailleurs aucune trace d’analyse d’alternatives au projet de la Ville de Bruxelles… Jusqu’à présent, les « grands » projets immobiliers aux abords du piétonnier ne comportent que des logements aux prix (élevés) du marché : ne pas créer des logements abordables dans l’Hôtel Continental ce serait manquer, une fois de plus, l’occasion d’offrir à des ménages modestes la possibilité de vivre dans le centre-ville et de jouir de tous les « services » qu’il offre.

Si la création de logements au niveau du rez-de-chaussée n’est pas souhaitable, ce n’est pas pour autant qu’il faut y installer un horeca privé. Un équipement public peut parfaitement y prendre place, de même que, par exemple, un espace commercial pour mettre en valeur le travail de jeunes entrepreneurs bruxellois ou encore, si la fonction horeca s’avère « indispensable », un restaurant social : les possibilités ne manquent pas. Nul doute qu’une de ces alternatives, qui auraient dû être analysées par le rapport d’incidences, répondra « aux ambitions d’une ville dynamique, résiliente et accueillante ».

Conclusion : si la Ville de Bruxelles refuse de revoir son projet, la Région devra l’y contraindre

Le rôle de la Ville de Bruxelles consiste, avant tout, à veiller à l’intérêt de ses habitants. Bien sûr, le centre-ville a pour vocation, par rapport à un quartier « classique », d’accueillir des fonctions « supralocales » ; mais celles-ci ne peuvent se développer au détriment des fonctions dédiées aux habitants (logements abordables, équipements publics, commerces de proximité…) : c’était tout le propos de notre étude « Le piétonnier… et maintenant ? ». Alors que les projets immobiliers privés font la part belle aux « visiteurs », on attend des projets développés sur des propriétés publiques qu’ils répondent aux intérêts des habitants. Ce n’est pas la direction qui a été prise, au contraire. Le projet de la Ville de Bruxelles pour l’Hôtel Continental ne déroge malheureusement pas à cette tendance. Si la Ville de Bruxelles refuse de revoir son projet, la Région (en charge de la délivrance (ou non) du permis) devra l’y contraindre.

Plus généralement, les institutions publiques (communes, Région, Fédéral ou encore SNCB) doivent cesser de se comporter comme des promoteurs privés qui cherchent à vendre ou louer au plus offrant, sans aucune considération sociale. Le foncier public est un bien rare ; le vendre ou le louer cher peut certes faire rentrer de l’argent dans les « caisses de l’Etat » mais sa cession constitue une perte irréparable, à moins de mettre d’important moyens pour en racheter par ailleurs : autant éviter d’en arriver à cette absurdité…