Nawal Ben Hamou attaque la démocratie urbaine

Nawal Ben Hamou attaque la démocratie urbaine

Face à un parterre de promoteurs réunis au salon immobilier Realty, la secrétaire d’Etat en charge du logement a affirmé sa volonté de supprimer la commission de concertation voire, dans certains cas, l’enquête publique. Ces dispositifs sont essentiels à la démocratie urbaine : les supprimer reviendrait à dénier aux habitants le droit de participer au devenir de leur ville.

Les propos de la secrétaire d’Etat, relayés par la presse ce mercredi 21 septembre, ne laissent pas planer de doute :

 

Nawal Ben Hamou propose carrément de supprimer les commissions de concertation, de confier la délivrance des permis d’urbanisme directement au gouvernement bruxellois.

Elle justifie sa « proposition » en invoquant les délais trop longs de délivrance des permis d’urbanisme et le fait que les commissions de concertation feraient « double emploi avec l’enquête publique ». Ces déclarations « à l’emporte-pièce » (prononcées pour flatter son auditoire ?) sont inacceptables : au mieux, elles font preuve d’une inquiétante méconnaissance du système des mesures particulières de publicité (enquête publique ET commission de concertation) ; au pire, d’une volonté délibérée d’affaiblissement de la démocratie urbaine en s’attaquant à des droits acquis de longue lutte.

Non, les commissions de concertations ne font pas double emploi avec les enquêtes publiques

L’enquête publique et la commission de concertation font partie d’un même processus. L’enquête publique permet de prendre connaissance du dossier et de remettre un avis écrit dans un délai de 15 à 30 jours (ce qui, pour les « gros » projets, est bien souvent trop court). La commission de concertation, qui intervient après l’enquête publique, est une réunion publique rassemblant administrations régionales et représentants des communes concernées, demandeurs de permis et quiconque (riverains, associations, « simple » citoyen) a demandé à être entendu.
C’est donc un lieu et un moment de débat, d’échanges, d’écoute ; les confrontations qui y ont parfois lieu font partie de la vie démocratique : les qualifier, comme le fait Nawal Ben Hamou, de « rings de boxe » revient à nier que le conflit fait partie intégrante du processus politique.

Pour le dire autrement, les commissions de concertation apportent bien plus que la simple collecte de réclamations écrites postées durant le délai de l’enquête publique. Sans prétention à l’exhaustivité, et sans ordre de priorité dans la liste qui suit, la commission de concertation permet :

  • Aux personnes qui ont des difficultés avec l’écrit et/ou le numérique de faire entendre leur voix. Une problématique qui devrait pourtant parler à Nawal Ben Hamou, qui est, rappelons-le, aussi en charge de l’égalité des chances…
  • De compléter un avis écrit rendu lors de l’enquête publique : les délais de celle-ci étant très souvent serrés, il est précieux de disposer d’un peu plus de temps pour analyser les dossiers ou développer son argumentaire.
  • De poser des questions (de fond ou de détail) aux demandeurs de permis, aux bureaux d’études (dans le cas où les projets font l’objet d’évaluation des incidences) et/ou aux représentants des administrations, et surtout d’avoir des réponses !
  • D’interpeller les représentants politiques et les fonctionnaires régionaux, de leur demander de faire part de leurs positions sur les dossiers et de justifier celles-ci.
  • De disposer, à la fin du processus, d’un avis écrit et public qui apporte des réponses motivées aux réclamations formulées.
  • De confronter les différents points de vue mais aussi de faire se rencontrer entre eux les différents réclamants, qui peuvent alors prendre connaissance d’autres avis que le leur et, ainsi, conforter ou, au contraire, modifier leurs idées.

Un dénigrement du rôle et des compétences de l’administration

Nawal Ben Hamou n’entend pas seulement supprimer les commissions de concertations mais aussi confier la délivrance des permis directement au gouvernement, ce qui reviendrait à nier le rôle et les compétences des administrations et à rendre plus opaques les décisions. Dans le « nouveau système » imaginé par Nawal Ben Hamou, où l’administration est complètement hors-jeu, ce seraient donc les cabinets ministériels, ouvertement politisés, qui traiteraient les demandes de permis, laissant la porte ouverte au règne de l’arbitraire : inégalité de traitement des dossiers, système de « deux poids, deux mesures »…

Les enquêtes publiques aussi dans le collimateur de la secrétaire d’Etat

Le « plan » de Nawal Ben Hamou ne se contente pas de supprimer la commission de concertation. Citant l’exemple de Hambourg, où « seuls les PPAS et Master plan font l’objet d’une enquête publique. Une fois les gabarits fixés, les demandes de permis pour chaque immeuble de logement ne sont plus soumis à enquête publique. », elle propose que

 

si un projet présenté dans un périmètre couvert par un tel Plan d’Aménagement [PAD, PPAS] respecte les gabarits et la forme urbaine prescrite, il n’y aurait plus besoin que d’une procédure simplifiée et accélérée de permis.

Or, les enquêtes publiques sur ces plans d’aménagement portent uniquement sur les « grandes lignes » des projets immobiliers possibles. L’impact précis de ces projets ne peut être évalué qu’à travers des études d’incidences spécifiques et détaillées lors des procédures de demandes de permis. Laisser les habitants se prononcer uniquement sur les « grandes lignes », sans connaître les effets réels des projets, revient à leur demander d’acheter un chat dans un sac.

Tout ça pour quoi ? et pour qui ?

Nawal Ben Hamou justifie sa volonté de « réforme » par la nécessité de raccourcir les procédures. L’article de la DH fait état d’une moyenne de 7,5 ans pour l’obtention d’un permis alors que la commission de concertation dispose de 45 jours après la clôture de l’enquête publique pour rendre son avis. En supprimant la commission de concertation, le gain de temps serait donc de 1,6 %… Un gain dérisoire, surtout au regard de l’énorme perte en matière de démocratie.

« Cerise sur le gâteau », les promoteurs immobiliers eux-mêmes ne sont pas demandeurs de telles mesures ! En 2016, lors d’un colloque organisé par l’ARAU, Pierre-Alain Franck (Union Professionnelle du Secteur Immobilier) indiquait que

 

les problèmes de délais trouvent leurs sources dans le sous-équipement des services d’urbanisme de certaines communes et de la Région, que ce soit en termes de main-d’œuvre (nombre et/ou compétences) ou de matériel. […] le cœur des solutions de respect des délais selon l’UPSI : donner les moyens suffisants aux différents services d’urbanisme pour accomplir correctement leurs tâches.

Une fois n’est pas coutume, l’ARAU rejoint le discours de la promotion immobilière : le raccourcissement des délais d’obtention des permis est une nécessité, en particulier pour les projets de logements sociaux qui manquent tant à Bruxelles. L’urgence de cette situation de grave pénurie (qui ne date pas d’hier) ne peut toutefois en aucun cas justifier une attaque contre la démocratie. C’est en impliquant les habitants et les associations, en les écoutant, en leur permettant d’exercer pleinement leurs droits (y compris celui de ne pas être d’accord !) qu’un avenir plus juste pour Bruxelles et ses habitants pourra se construire.