L’expropriation, ou comment évacuer la recherche de la cohabitation

L’expropriation, ou comment évacuer la recherche de la cohabitation

« Gérer une ville demande de la nuance » (dixit le Bourgmestre de la Ville de Bruxelles Philippe Close). Parlons nuances : depuis le début de l’affaire du Fuse, l’ARAU s’inquiète du manque de jugement et de discernement des autorités qui, au départ d’une communication opportuniste, n’ont pas hésité à trancher en faveur d’un établissement faisant l’objet de plaintes depuis 10 ans, et à faire reculer l’état de droit et la protection de l’environnement, contre les habitants. Les dernières nouvelles confirment le déséquilibre inquiétant et grandissant entre le lobby du « milieu de la nuit » et la défense de la ville habitée, et nous rappellent, visiblement sans trop s’en étonner, que la pire des solutions, à savoir l’expropriation des riverains, serait encore une des pistes sérieusement privilégiées. Comment encore oser parler de la recherche d’équilibre, de respect mutuel, de conciliation des intérêts… tout en excluant politiquement la possibilité d’une cohabitation sereine entre les différentes fonctions urbaines ?

Ce mardi 14 mars, la presse nous informait que la sanction décidée par Bruxelles Environnement (l’administration régionale) à l’encontre du Fuse a été annulée par le Collège de l’environnement (organe chargé d’examiner les recours). Il est utile de souligner que le Collège de l’environnement ne s’est prononcé que sur la nature de la sanction (soit une réduction du délai d’exploitation du FUSE de 3 à 2 ans avec une acceptation de dépassements temporaires des normes de bruit et la fixation d’horaires plus stricts). Cette annulation n’est donc en rien un « coup de baguette magique » qui ferait disparaître les infractions et les nuisances causées aux habitants des Marolles.

Le respect des lois, des normes et des conditions du permis d’environnement continue de s’imposer au Fuse, comme le rappelle Bruxelles Environnement sur son site : « Le Fuse peut continuer à exploiter sur base du permis d’environnement initial. Mais la décision du collège a pour conséquence qu’il est tenu de respecter à la lettre les normes de bruit (les arrêtés bruit du voisinage, des installations classées et son amplifié). » Les autorités (la Région et la Ville de Bruxelles) ont donc le devoir de faire respecter ces normes, établies, faut-il le rappeler, pour protéger la santé des riverains mais aussi des personnes qui fréquentent les établissements (clients et personnel). Si cela s’avère nécessaire, des sanctions doivent donc être prises

Malheureusement la voie empruntée par la Région ne semble pas favorable au respect de l’environnement et des habitants. Au lieu de s’attaquer à la source des nuisances (volume sonore, défauts d’insonorisation, non-respect des horaires, etc.), Pascal Smet, chargé par le gouvernement de « trouver une solution », via la mise en place d’une taskforce « night life », étudie les moyens juridiques d’exproprier les riverains de ces établissements, par l’instrumentalisation du concept de patrimoine immatériel : c’est le monde à l’envers ! Concrètement, dédier des quartiers entiers à la fonction festive, sur base de cette reconnaissance du clubbing comme patrimoine, reviendrait à vider des rues entières de leurs habitants. Ce modèle qui a été appliqué à la rue Neuve pour la fonction commerciale est pourtant tout le contraire de la mixité vantée dans tous les discours politiques, dont ceux de Philippe Close à propos de la ville à 10 minutes.

L’ARAU ne se positionne pas contre la pertinence d’un mouvement du « droit à la fête », mais attire l’attention des autorités sur le fait que l’invocation de ce « droit » ne doit pas être instrumentalisée pour occulter la situation de non-droit inacceptable dans laquelle certains riverains et certains quartiers sont relégués. Au passage, il faut rappeler que les logements des Marolles sont antérieurs à l’installation du Fuse et que c’est à cet établissement de réaliser des travaux d’insonorisation pour respecter l’habitat (et ne plus être menacé de fermeture). L’argent public ne saurait être utilisé pour exproprier des habitants d’un quartier populaire au profit d’un établissement privé ne respectant ni les normes ni la loi.