Projet Lebeau-Sablon : la promotion de l’effondrement

Projet Lebeau-Sablon : la promotion de l’effondrement

Bien que « revu et corrigé », le projet d’Immobel est toujours à contre-courant des enjeux écologiques (trop de démolitions-reconstructions), sociaux (aucun logement abordable), de mobilité (accroissement de l’offre de stationnement) et démocratiques (opacité des réunions et décisions). Si elle veut être cohérente avec ses propres objectifs, la Région doit refuser la demande de permis.

La commission de concertation se réunira le 4 octobre prochain pour examiner la demande de permis introduite par le promoteur Immobel pour son projet « Lebeau-Sablon ». Il s’agit d’une version « corrigée » d’un premier projet qui avait été soumis à l’enquête publique en octobre 2020.

Une négociation en toute opacité

La 2e version du projet Lebeau-Sablon est le fruit d’une « négociation » entre les pouvoirs publics (Région et Ville de Bruxelles) et le promoteur Immobel. Le public ignore tout des discussions qui ont eu lieu : le dossier soumis à l’enquête publique n’en contient aucune trace. Le site internet d’Immobel consacré au projet indique pourtant qu’il y a eu des « recommandations claires formulées par les pouvoirs publics ». Quelles étaient-elles précisément ? Comment la Région (et la Ville ?) ont-elles opéré le « tri » parmi les réclamations formulées lors de l’enquête publique de 2020 ?

Un programme « corrigé » mais qui ne répond toujours pas au enjeux sociaux, environnementaux et de mobilité

Le programme du projet « Lebeau-Sablon » a significativement évolué entre la première et la deuxième version. En matière d’affectations, on constate une forte diminution du nombre de logements (de 207 à 65 unités !), au profit des superficies de bureaux (de 9.935 à 17.518 m² ; + 76 % !) et d’une diminution du nombre total de mètres carrés du projet.
L’explication à ce changement de programme tient en fait en un mot : rentabilité.

« On ne peut pas tout démolir ? Alors on fera (beaucoup) moins de logements ! » : le faux dilemme conservation du bâti vs logements

C’est en ces termes qu’on pourrait résumer le « calcul » d’Immobel. La première version du projet prévoyait la démolition de la quasi-totalité de l’îlot. Pour répondre à la demande de la Région et de la Ville de Bruxelles de maintenir une plus grande partie du bâti existant, Immobel a donc « revu sa copie » en suivant le principe déjà à l’œuvre dans la 1ère version : les bâtiments conservés gardent leur fonction initiale de bureaux, les nouvelles fonctions s’implantent dans des bâtiments neufs, suite à une opération de démolition-reconstruction.

 

La volonté d’Immobel de maintenir des superficies de bureaux dans les bâtiments qui seraient conservés ne s’explique pas par un soudain manque de bureaux dans le quartier, ni par une quelconque impossibilité technique de conversion en logements, mais par le choix de la facilité, et donc de la rentabilité. On peut ainsi lire dans le RIE que « la profondeur et la configuration des constructions existantes permet d’aménager des logements dans leur emprise (en plan) ». Rien n’empêche d’à la fois maintenir l’ensemble des bâtiments existants et de créer des logements. Le postulat d’Immobel selon lequel il faudrait choisir l’un ou l’autre est un faux dilemme !

Rénover est plus écologique que de démolir et reconstruire : le dossier de demande de permis l’affirme clairement

Le dossier est accompagné d’une analyse bureau Sureal : ses conclusions mettent en exergue que « les rénovations atteignent un meilleur résultat grâce au maintien de la grande majorité de la structure et des façades. Le fait de ne pas devoir produire et mettre en œuvre des grandes quantités de matériaux résulte en une grande économie en termes d’émission de carbone. » Les conclusions limpides de cette analyse abondent dans le sens du maintien de l’ensemble des bâtiments. Autoriser une démolition-reconstruction, même « partielle », reviendrait donc à poser un acte antiécologique intentionnel : c’est inacceptable !

Immobel doit participer à la production de logements abordables à Bruxelles

Créer un nombre conséquent de logements tout en maintenant les bâtiments existants est tout à fait possible. Encore faut-il que ces logements répondent à la demande, toujours croissante, de logements abordables. Le cabinet du secrétaire d’Etat en charge de l’urbanisme, Pascal Smet, a récemment déclaré à la presse qu’un projet de texte de loi visant à imposer un quota de logements sociaux dans les grands projets immobiliers serait bientôt soumis au gouvernement. Il n’est toutefois nul besoin d’attendre que ce texte de loi soit adopté pour demander aux promoteurs comme Immobel d’intégrer des logements abordables dans leurs projets !

Moins de parkings mais toujours beaucoup trop

Si l’on se contente de faire remarquer que le nombre d’emplacements de parking a diminué de moitié, on pourrait penser qu’Immobel a fait un bel effort, voire un « sacrifice ». Ce serait oublier que la demande initiale comportait un parking gigantesque de 385 places ! Avec ses 190 emplacements, le parking actuellement envisagé reste encore largement surdimensionné. Pour rappel, le projet Lebeau-Sablon est situé dans un quartier bien desservi en transports en commun et où on trouve de nombreuses places de parkings publics. Ces 190 places de parkings représenteraient une augmentation de 141 unités par rapport à la situation existante (49). Alors que la Ville de Bruxelles vient de mettre en œuvre un nouveau plan de circulation dans le Pentagone visant à diminuer le trafic automobile, augmenter l’offre de stationnement (qui agit comme « aspirateur de trafic ») serait un total non-sens !

Tour et touristes

La volonté d’Immobel de démolir les bâtiments le long de la rue Lebeau s’explique aussi par la présence dans son projet d’un hôtel de 150 chambres, qui prendrait la forme d’une « petite tour » au niveau de la place de la Justice. Un si grand hôtel ne se justifie pas, sauf si l’on veut encourager le surtourisme et prendre la voie de villes comme Amsterdam ou Barcelone, qui regrettent aujourd’hui amèrement leurs choix et qui tentent tant bien que mal d’en limiter les nuisances. Le risque pour Bruxelles est bien réel, en particulier si la Ville et la Région encouragent la multiplication des projets hôteliers. En prenant uniquement en compte les projets actuels d’Immobel dans le centre-ville, on pourrait voir pas moins de 618 chambres d’hôtel arriver « d’un coup » sur le marché. Pour donner un ordre de grandeur, la « production » annuelle moyenne de chambres d’hôtel, sur l’ensemble de la Région, était de moins de 150 unités entre 2011 et 2019 …

Conclusion : maintenir les bâtiments et y créer des logements abordables

Il faut le dire clairement, le projet Lebeau-Sablon s’inscrit dans le déni des enjeux actuels, pourtant renforcés par la crise énergétique  qui devrait pousser la promotion immobilière à plus de sobriété. Même si Immobel a « revu et corrigé » sa copie, elle est toujours loin d’être satisfaisante : les améliorations apportées entre la 1ère et la 2e version du projet se sont arrêtées à mi-chemin.

Il appartient donc à la Région de signifier clairement (et de façon publique !) à Immobel que la 2e version du projet Lebeau-Sablon ne répond pas aux politiques écologiques et sociales qu’elle s’est engagée à suivre. Elle doit par conséquent refuser la demande de permis et inviter le promoteur à soumettre une version conforme aux objectifs qu’elle a elle-même fixés.