Rue de la Dyle : la production de  logements ne peut pas  tout justifier

Rue de la Dyle : la production de logements ne peut pas tout justifier

Le projet de démolition-reconstruction de l’ensemble des bâtiments rue de la Dyle 2-6 n’est pas seulement dommageable patrimonialement (disparition d’un des derniers témoins du passé industriel) et environnementalement (émissions importantes de CO2) ; il est aussi symptomatique de la transformation de tout un quartier. En remplaçant des espaces d’activités productives et artistiques (locaux de répétition de musiciens) par du logement (très) cher, le projet de la rue de la Dyle contribue à l’éviction de fonctions jugées indésirables, qui font tache avec le récit des pouvoirs publics et promoteurs privés qui entendent faire des rives du canal un « water front attractif ».

Zéro mixité, des gabarits gonflés

Concrètement, le projet vise à démolir l’entièreté des bâtiments (hors-sol et sous-sol) situés rue de la Dyle, 2-6, quai de Willebroek 28 et quai des Péniches 49, pour les remplacer par un ensemble d’immeubles de logements, alignés sur les constructions récentes mitoyennes. En tout, ce sont 90 appartements qui sont prévus, accompagnés de trois surfaces commerciales en rez-de-chaussée, et de deux niveaux de parking (69 places). Un petit jardin de pleine terre est prévu en intérieur d’îlot mais les constructions occuperaient tout de même plus de 85 % de la parcelle !

Ce programme prend la forme d’immeubles de 9 niveaux (rez + 8 étages) côté Quai de Willebroek, et de 8 niveaux (rez + 7 étages) côté Quai des péniches, afin de s’aligner sur les constructions des parcelles voisines. Rue de la Dyle, plus étroites, les gabarits varieront entre du rez + 3 et du rez + 6.

Les bâtiments voués à la démolition se composent d’un immeuble à appartements (n°2 rue de la Dyle), d’un entrepôt commercial (n°4 rue de la Dyle et n°28 quai de Willebroek) et d’un bâtiment de bureaux et ateliers (n°6 rue de la Dyle), lesquels ont été édifiés entre les années 1930 et 1950, et fin XIXe en ce qui concerne l’entrepôt commercial.

Une opération de démolition-reconstruction injustifiée

Depuis des années, l’ARAU le répète en boucle : la démolition-reconstruction doit devenir une exception et la rénovation la règle ! Alors qu’on pensait que le message commençait à être entendu au niveau politique, on constate pourtant que de nombreux projets de démolition-reconstruction continuent à être développés et que des permis les autorisant sont toujours délivrés. Ces opérations (il faut manifestement encore le rappeler) sont contraires aux objectifs de réduction des émissions de CO2 car bien plus émettrices que des opérations de rénovation.

Le propre de l’urbanisme d’aujourd’hui et de demain, c’est composer avec l’existant, et plus faire table rase. Or, ici encore, ces recommandations ne semblent pas avoir été entendues.

Disparition d’un des derniers témoins de la vocation industrielle du quartier

Les documents relatifs au projet sont unanimes : l’ensemble architectural actuellement présent sur le site n’aurait strictement aucun intérêt, ce qui justifierait ainsi la démolition. Les trois bâtiments concernés possèdent toutefois chacun leur notice à l’inventaire du patrimoine architectural de la Région, lesquelles donnent une foule d’informations (notamment au point de vue architectural) quant à l’intérêt de ces constructions !

Par leurs fonctions initiales, leur emplacement en bord de canal, ces trois bâtiments s’inscrivent dans l’histoire du quartier. Ils sont les témoins du passé et du présent encore industriel de cette zone et, d’une certaine manière, illustrent la mixité fonctionnelle qui fut toujours le propre de celle-ci. Leur rôle de « témoins » devrait inciter à les conserver et les réhabiliter plutôt que les démolir. 

Eviction des fonctions qui font tache

Dans son avis, la CRMS ajoute que

 

Le maintien et la réaffectation du bâti existant, plutôt qu’un parti de démolition/reconstruction, s’inscrivent aussi dans la logique du nouveau RRU Good Living. La CRMS demande de recomposer le projet vers une plus grande conservation et reconversion de l’ensemble, avec une vision durable et patrimoniale, en particulier pour les immeubles présentant des qualités architecturales, et de prendre l’immeuble d’angle (Rue de la Dyle n°2, déjà affecté au logement) comme point de départ du projet.

Cette mixité fonctionnelle est d’ailleurs menacée par les différents outils stratégiques qui tendent à orienter l’avenir du quartier. L’ARAU l’écrivait récemment dans son avis relatif au PAD Max :

 

La cohabitation des fonctions (logements, commerces, équipements, activités productives…) est l’essence de la ville. En l’absence d’encadrement, les tendances du marché menacent l’équilibre nécessaire au bon fonctionnement de la ville, en promouvant les fonctions dites « fortes » (c.-à-d. les plus rentables), comme les bureaux ou les logements de « standing », au détriment des fonctions dites « faibles », comme le logement social, les espaces verts ou encore les activités productives.

Le projet rue de la Dyle confirme que la menace que nous avions identifiée est bien réelle : en effet, il supprime les 1.350 m² d’activités productives que comptent aujourd’hui les bâtiments pour laisser place au logement (et à quelques commerces).

La disparition d’espaces dédiés aux activités productives au profit de logements (très) chers n’est pas une nouveauté dans le quartier, où cette évolution s’observe depuis plusieurs années, encouragée par les pouvoirs publics. Ainsi, la Ville de Bruxelles « estime que les activités productives ne sont pas optimales pour activer un front actif le long du quai ». Cette volonté de la Ville de Bruxelles reflète la tendance générale, soutenue par la Région et appelée à grands cris par la promotion immobilière privée, notamment à travers sa récente campagne de marketing BXNord, de faire des rives du canal un « water front » mêlant activités récréatives et culturelles (projet de musée KANAL) au pied de logements de luxe (tour Up-Site), au détriment des activités productives, rejetées toujours plus loin du centre de la ville.

Conclusion : la ville c’est plus que le logement

Entre la désindustrialisation de la ville et le plan Manhattan, qui a chassé les habitants pour construire des tours de bureaux, le quartier Nord a énormément souffert, c’est peu dire. Les plans des pouvoirs publics et des promoteurs privés pour le « redynamiser » pourraient, dans ce contexte, être considérés comme les bienvenus. Si personne ne nie le besoin de réhabilitation, celle-ci ne doit en aucun cas servir de prétexte à l’éviction de ce qui, aux yeux de certains, fait tache : bâtiments d’aspect ancien, activités bruyantes ou jugées « sales ». La production de nouveaux logements et commerces n’a bien sûr rien de répréhensible, hormis si cette production se fait au détriment d’autres fonctions essentielles à la ville et qu’elle fait disparaitre des lieux de production, de création. Outre son absence de mixité fonctionnelle, le projet de la rue de la Dyle n’offre pas non plus de mixité sociale puisque les prix des logements ne seraient pas encadrés (pas de quotas de logements sociaux et/ou moyens). Si l’on ajoute à ce tableau les émissions de CO2 de l’opération de démolition-reconstruction et la disparition de bâtiments témoins du passé industriel, la conclusion qui s’impose est de refuser la demande de permis et de repenser le projet dans une perspective de mixité fonctionnelle et sociale, de respect du patrimoine (même s’il n’a rien de spectaculaire) et de respect des engagements écologiques de la Région.