Projet Oxy à De Brouckère : les touristes avant les habitants, ou le déni des crises

Projet Oxy à De Brouckère : les touristes avant les habitants, ou le déni des crises

Le projet de rénovation lourde de la tour « Centre Monnaie », symbole de la bruxellisation, ne répond pas aux intérêts des habitants et renforce le processus de « touristification » du centre-ville. La reconversion de cet immeuble de bureaux, prévoit 316 chambres d’hôtel et seulement 120 logements… L’ARAU demande d’au moins doubler le nombre de logements et d’en consacrer une part significative aux logements sociaux. La Région doit refuser ce projet ancré dans le passé.

Au-delà des discours de la promotion immobilière sur la mixité des fonctions et l’ »urbanité », de nombreuses questions (sociales, environnementales, patrimoniales, de mobilité…) se posent sur les projets de reconversion de grands immeubles de bureaux en ensembles mixtes où logements, hôtels, commerces ou autres équipements remplacent une partie plus ou moins importante des surfaces dédiées à l’activité tertiaire.

Le cas du projet Oxy met également en lumière la politique de « touristification », que subissent de nombreuses villes comme Paris, Barcelone, Amsterdam, Venise, etc. où ce processus, soutenu par les pouvoirs publics à grand renfort de marketing urbain, a déjà rendu invivables des quartiers entiers. Bruxelles n’est pas (encore) arrivée à ce stade mais le risque est réel. L’ARAU l’a maintes fois montré à travers ses analyses sur la nature « touristico-commercialo-événementielle » du piétonnier des boulevards du centre.

Un projet qui capitalise sur la bruxellisation des années 1960

Le projet Oxy consiste en une rénovation lourde de la tour existante. Toutefois, les promoteurs (Immobel, Whitewood et DW Partners) veulent augmenter la superficie de 6.935,4 m² pour atteindre un total de 70.945,8 m² (+ 10,8 %). Cette demande de dérogation, que rien ne justifie, est inacceptable ! Les promoteurs bénéficient déjà d’une situation hors norme obtenue par leurs « prédécesseurs » dans les années 1960 où un Plan Particulier d’Affectation du Sol (PPAS) sur mesure a permis la construction du « Centre Monnaie ». Cette tour et sa « jumelle » Philips, fruits du modèle fonctionnaliste du « tout aux bureaux et à la voiture », ont détruit une partie du quartier et déstructuré son tissu urbain.

Pas de démolition mais pas de réduction du parking : un bilan environnemental mitigé

Les promoteurs ont opté pour une rénovation lourde plutôt que pour une démolition-reconstruction Ils justifient ce choix pour des raisons environnementales mais il faut très certainement chercher ailleurs pour trouver ce qui a motivé cette décision. En cas de démolition-reconstruction, la nouvelle construction aurait en effet dû se conformer au Règlement Régional d’Urbanisme (puisque le PPAS a été abrogé en 2003) et donc faire 43 m de moins que le projet actuel ! Le fait que le socle (récemment rénové) et les sous-sols soient en copropriété ne facilite pas non plus une opération de démolition-reconstruction.

Bien sûr, l’ARAU plaide pour que les démolitions-reconstructions deviennent l’exception, et les rénovations la règle. Il est toutefois nécessaire que les bilans environnementaux des opérations immobilières soient réalisés de manière systématique, objective et uniforme par l’administration (Bruxelles Environnement) afin de garantir une égalité de traitement des demandes de permis mais surtout pour éviter que les arguments écologiques ne soient mobilisés « à la carte » au profit d’intérêts financiers.

Nombre de parkings hors voirie dans le quartier (source: data-mobility.irisnet.be/mobigis/fr/)

En matière de stationnement, les promoteurs n’envisagent certes pas d’augmenter la capacité du parking mais « seulement » de maintenir les 221 emplacements existants (à noter que les sous-sols de la tour comportent en outre 606 places de parking public qui ne sont pas concernées par la demande de permis).
S’il on veut voir se concrétiser les objectifs de réduction du trafic automobile, il est indispensable de diminuer la capacité de stationnement, qui détermine très fortement l’usage de la voiture.
Chaque projet doit être l’occasion de contribuer à cette diminution. L’ARAU demande donc, comme pour le projet De Brouckère, qu’Oxy ne contienne aucun parking pour les voitures individuelles mais uniquement un nombre limité d’emplacements pour des voitures partagées.

Beaucoup d’hôtel, très peu de logements : les touristes avant les habitants

Avec 316 chambres d’hôtel (14.543,4 m²) et seulement 120 logements (11.716,50 m²), les promoteurs d’Oxy développent clairement un projet pour les touristes plus que les habitants. Cette orientation n’est guère surprenante : elle ne fait somme toute que s’inscrire dans la politique d’accélération de la « touristification », menée par la Ville de Bruxelles à travers la piétonnisation des boulevards du centre ou encore le projet de Beer Temple à la Bourse.

 

Les 316 chambres du projet Oxy représentent à elles seules plus que la moyenne du nombre de chambres autorisées annuellement dans les années 2000-2010 !

Malgré la crise sanitaire qui a montré toute la fragilité du secteur touristique, la Région ne remet pas en cause le modèle de la « touristification » de Bruxelles. Au contraire, elle continue d’encourager le développement de l’offre touristique avec pour seul réserve la volonté de ne pas trop concentrer les activités dans la zone centrale, déjà soumise à une forte pression, mais de mieux les répartir sur l’ensemble du territoire. Or, le projet d’hôtel d’Oxy se situe en plein dans cette zone centrale…
Si elle veut être conséquente avec sa politique, la Région doit donc refuser l’implantation de ce méga hôtel.

Les promoteurs privés doivent contribuer à la production de logements sociaux

La liste des ménages en attente d’un logement social s’allonge inexorablement d’année en année : au 30 septembre 2020, 49.135 y figuraient. Dans ce contexte catastrophique, chaque projet privé de création de logements doit contribuer significativement à augmenter la production de logements sociaux.

En attendant une réforme permettant de réellement de contraindre les promoteurs privés à intégrer une part significative de logements sociaux dans leurs projets, l’ARAU demande que l’entièreté des charges d’urbanismes soient consacrées à la création de logements sociaux au sein du projet Oxy. Pour rappel, Oxy est compris dans le périmètre du quartier Grand Place qui ne comporte aucun logement social !

Promouvoir la « touristification » ou lutter contre la dégradation de l’environnement, il faut choisir !

Alors que la Région va prochainement se doter d’une « loi climat » et que la Ville de Bruxelles s’est déclarée en « état d’urgence climatique » en 2019, promouvoir la massification du tourisme, par l’augmentation incontrôlée de l’offre hôtelière ou encore par la création d’ »attractions » comme le Beer Temple, est un non-sens qui s’inscrit à contre-courant des objectifs de protection de l’environnement.

Au niveau local, le tourisme de masse menace l’habitabilité de quartiers entiers. Dans le passé, des pans entiers du centre-ville de Bruxelles ont été « désertifiés » par l’implantation massive de grands immeubles de bureaux, souvent de manière très brutale. Aujourd’hui, la poursuite du retour d’habitants dans ces zones est compromise par la « touristification » et l’ »événementialisation ».
D’un point de vue économique, la crise sanitaire a montré toute la fragilité du secteur touristique et des emplois liés, déjà bien souvent précaires. La Région doit également s’interroger au regard de cette donne.

Face au projet Oxy, la Ville de Bruxelles, mais surtout la Région (à qui il incombe de délivrer ou non un permis), doivent prendre leurs responsabilités. Au regard des enjeux sociaux et environnementaux, elles doivent refuser ce projet contraire aux intérêts des Bruxellois et exiger des promoteurs un nouveau projet comportant bien moins de surfaces pour l’hôtel et les bureaux et bien plus pour des logements, y compris sociaux.