Le train à Bruxelles, ce métro méconnu

Le train à Bruxelles, ce métro méconnu

Plaidoyer pour une réhabilitation du patrimoine ferroviaire bruxellois et une meilleure exploitation du chemin de fer en faveur des déplacements quotidiens des habitants

Lorsqu’on se positionne en faveur de mesures contraignant l’usage de la voiture en ville (que ce soit en public, sur les réseaux sociaux, ou encore de la presse), l’argument du « manque d’alternatives » ou encore de « la charrue avant les bœufs » refait inévitablement surface. En d’autres termes, si vous défendez la taxe kilométrique, l’augmentation du coût du stationnement, la zone 30, les mailles apaisées du plan GoodMove ou la limitation du nombre d’emplacements de parking dans les projets de logements ou de bureaux, la critique la plus fréquemment convoquée avancera que l’« on ne peut pas contraindre les gens à abandonner leur voiture tant que les transports en commun sont inefficaces. »

À entendre de tels regrets, il n’existerait à l’heure actuelle aucune alternative efficace qui permettrait d’abandonner la voiture au profit des transports en commun et il faudrait donc urgemment poursuivre les investissements dans des projets de métro, lequel serait le seul mode à même de faire de Bruxelles une « vraie métropole européenne ».

L’observation des infrastructures de mobilité bruxelloises nous offre, face à ces présupposés, une réalité bien plus encourageante et optimiste !, Car Bruxelles a hérité d’un incroyable patrimoine ferroviaire et les alternatives de mobilité collective, pour une partie d’entre elles, reposent sur un patrimoine déjà existant d’infrastructures : en parallèle du réseau de la STIB (dont la composante « tram » n’a d’ailleurs cessé de se développer depuis les années 1990 : nouvelles lignes, prolongements de lignes existantes, etc.), Bruxelles compte aussi 35 gares de chemin de fer, réparties sur un réseau d’approximativement 96 km de voies. Pour un territoire de 161 km², c’est véritablement énorme ! La densité ferroviaire de la Région atteint ainsi 0,6 km de voie par km², et est 5x plus importante que celle de la Belgique : une véritable spécificité du paysage urbain bruxellois !

Les sceptiques répondront qu’ils veulent bien prendre le train, mais seulement une fois que le fameux RER (dont la réalisation serait, pour certains, la condition sine qua non pour prendre la moindre mesure à l’encontre de l’automobile…) sera mis en service. Ici aussi, il est possible de répondre : le RER (terme dont il faudrait, pour plus de clarté, se débarrasser) est déjà partiellement en place. Certes, pas sous le nom de RER, mais plutôt de réseau S ; certes, la promesse des 4 trains par heure et par sens dans chaque gare est encore loin d’être atteinte ; certes, certains tronçons attendent toujours leur mise à quatre voies ; mais il n’empêche que depuis le lancement de l’offre S, en 2015, l’offre n’a eu de cesse que de s’étoffer, via l’ouverture de nouvelles gares ou l’augmentation des fréquences sur certaines lignes. En 2021, le lancement des offres BRUPASS et BRUPASS XL a été un pas de plus vers l’intégration tarifaire, souhaitée à Bruxelles depuis des décennies. Et cela a déjà payé : entre 2015 et 2018, la fréquentation de ces trains S a augmenté de 44%.

Malheureusement, cette offre de transport en commun est sous-exploitée pour les trajets intrarégionaux : pour un jour moyen, le train ne représente que 1,6 % des déplacements des Bruxellois (chiffres de 2021-2022) . Il est vrai qu’en Belgique, historiquement, le train est plutôt un moyen de transport interurbain, permettant aux navetteurs de rejoindre leur lieu de travail ou d’enseignement. Il n’a jamais été conçu comme un moyen de transport intra-urbain, et n’est pas perçu comme tel par la majorité des Bruxellois, comme l’indiquait une députée en janvier 2022 :

 

À Bruxelles, très peu d’usagers du réseau STIB semblent connaître le réseau S. Son utilisation est très faiblarde. Le réseau S n’est pas toujours vu comme un moyen de transport interurbain. Selon les passagers, le rôle du train se cantonne aux trajets des navetteurs entre le domicile et le lieu de travail. Il n’est pas considéré comme une offre complémentaire de mobilité au sein de Bruxelles.

Mais au vu de la congestion automobile dans Bruxelles, et face à certains projets pharaoniques dont l’impact sur le report modal est plus qu’incertain (on pense notamment au métro 3), le train a, selon l’ARAU (mais aussi selon d’autres associations, chercheurs et politiques bruxellois) un rôle clé à jouer dans la mobilité de demain. Pour les déplacements intrarégionaux, le très dense réseau ferroviaire bruxellois (et ses gares) peut et doit être considéré, mis en valeur et utilisé comme un réel complément au réseau de métro. Un complément de taille, quand on sait que le réseau de métro compte (à peine) 40 km de voies et 59 stations.

L’intérêt du le train comme moyen de transport intra-urbain tient à plusieurs facteurs, notamment :

  • Sa capacité de transport est très importante ;
  • Il offre des temps de parcours imbattable pour certaines destinations ;
  • Son tracé est toujours en site propre (comme le métro, mais contrairement aux trams et aux bus) et il n’est donc jamais soumis aux aléas de la congestion ;
  • Les gares sont réparties à travers toute la Région, y compris dans les zones parfois délaissées par les métros et les trams chrono de la STIB ;
  • Et surtout, ses infrastructures sont, pour la plupart, déjà construites (il faut « juste » y faire « rouler des trains ») !

Dès lors que l’on connait les énormes potentialités du train pour les trajets intrarégionaux, comment expliquer une part modale si faible (1,6% des déplacements) ? Pourquoi ce désintérêt ? Et comment susciter une plus grande utilisation du train auprès des Bruxellois ?

Pour répondre à ces questions, cette étude reviendra d’abord sur l’histoire et les logiques du développement ferroviaire belge et bruxellois, lesquelles ont conditionné la manière dont, aujourd’hui, les déplacements en trains sont considérés et pratiqués. Dans ce cadre, nous aborderons notamment la chronologie du projet RER ainsi que son volet ferroviaire, le train S. Dans une seconde partie, il s’agira de mettre en avant les potentialités des lignes ferroviaires pour les déplacements des Bruxellois. En parcourant les déclarations de politique gouvernementale et les plans régionaux de mobilité, nous verrons aussi comment, face au projet RER, la Région bruxelloise tente de tirer son épingle du jeu pour faire du train un vrai mode de transport intrarégional. En troisième partie, l’étude s’attachera à expliquer le « désintérêt » des Bruxellois pour les déplacements en train au quotidien. Enfin, face à ces constats, la dernière partie développera 17 propositions susceptibles d’augmenter la part modale du train à Bruxelles : dans l’attente de la finalisation de l’offre RER, l’idée est ici de « faire mieux » avec ce qu’on a, en proposant de petites interventions ciblées.