L’urbicide qui se cache (bien mal) derrière la démolition du Palais du Midi

L’urbicide qui se cache (bien mal) derrière la démolition du Palais du Midi

Pour tenter de faire taire les contestations, la Ville de Bruxelles présente la démolition du Palais du Midi comme une opportunité de « rénovation urbaine » dont les habitants et usagers présents seraient les premiers bénéficiaires, en promettant un retour à une vie normale une fois les chantiers de démolition et reconstruction terminés. Or il n’en est rien !

Pour poursuivre le projet du métro 3, le gouvernement régional a décidé de démolir le Palais du Midi, avec la bénédiction de la Ville de Bruxelles. Propriétaire des lieux, elle assume pleinement une politique d’autodestruction d’un bien commun et renoue de manière décomplexée avec la violence des mécanismes de la bruxellisation. L’ampleur d’un tel chantier (l’équivalent de la démolition de deux îlots entiers dans les quartiers les plus denses du Pentagone), qui s’ajouterait aux travaux déjà en cours et à ceux prévus pour le réaménagement complet de l’avenue de Stalingrad, engendrerait bien sûr des nuisances environnementales extrêmement lourdes (bruit, poussière, vibrations…). Mais il provoquera surtout la destruction des tissu urbain et social de tout un quartier, qui se verrait privé d’une grande partie de ses activités commerciales, éducatives et sportives.

Qui peut croire aux promesses de la Ville ?

« Il va falloir repenser le Palais du Midi mais […] je trouverais très choquant qu’on discute déjà du futur du Palais alors qu’on n’a pas réglé le présent ». Si l’on se fie à cette déclaration du bourgmestre de la Ville de Bruxelles, Philippe Close, l’avenir du Palais du Midi et du quartier Stalingrad-Lemonnier reste ouvert, y compris, donc, à un retour des commerçants qui l’occupent actuellement. C’est en tout cas la promesse faite par l’échevin bruxellois des affaires économiques Fabian Maingain : « Dans son avis remis au gouvernement, la Ville a demandé que le retour des commerçants soit prévu. C’est clairement le cas. » En recoupant les informations, le scénario le plus réaliste est pourtant celui d’une reconstruction sans les habitants, les commerçants et les clubs de sport qui font aujourd’hui la vie du quartier.

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Sachant que le Palais du Midi ne pourrait pas être rebâti avant 10 ans (selon Philippe Close), qui peut penser plausible le retour des commerçants actuels ? Combien n’auront eu d’autre choix que de cesser leurs activités ? Ceux qui auront eu la chance de pouvoir se relocaliser dans un autre quartier, en y investissant temps et argent, voudront-ils tout recommencer à zéro en revenant dans le quartier Stalingrad-Lemonnier ? On ne parle pas ici d’une relocalisation temporaire de quelques mois mais bien de 10 ans, le quart d’une « vie active » !

Un retour de la haute école Fransisco Ferrer est tout aussi improbable, la Ville de Bruxelles ayant déjà, selon Philippe Close, une « piste » pour un déménagement : on imagine mal qu’il s’agisse d’une relocalisation « temporaire » des étudiants et de leurs professeurs dans des containers sur la petite ceinture en attendant leur retour au Palais du Midi. Du côté des activités sportives, le déménagement définitif est clairement annoncé : comme l’échevin des sports Benoît Hellings l’a fait savoir, le plan de la Ville de Bruxelles est de relocaliser celles-ci dans de nouvelles infrastructures à construire sur le site Vander Putten à la Porte de Ninove. La promesse d’un « retour à la normale », c’est-à-dire du retour des commerçants et des clubs de sport, qui font aujourd’hui la vie du quartier, tient de l’illusion voire du mensonge.

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17 décembre 2032, la Ville de Bruxelles annonce officiellement le lancement du projet tant attendu de « redéveloppement » du Palais du Midi ; il s’agit, selon le dossier de presse, d’y accueillir « des activités répondant aux ambitions d’une ville dynamique, résiliente et accueillante ». L’ARAU dénonce la cession (de ce qu’il reste) des bâtiments au privé et le programme du projet (hôtel, coliving de luxe, food court, zéro logement social, aucun équipement ni commerce à destination des habitants). La Ville et la Région répondent qu’il faut aller de l’avant, qu’on ne peut pas laisser un si grand chancre en plein centre-ville, qu’il faut saisir l’opportunité offerte par la mise en service prochaine du demi-métro

Les lignes qui précèdent n’ont malheureusement rien de fictionnel : c’est la réalité des programmes immobiliers qu’on peut aujourd’hui observer sur le piétonnier, y compris sur du foncier de la Ville de Bruxelles. Sous prétexte de la réalisation d’un projet d’intérêt général, l’évacuation complète des occupants du palais, aujourd’hui actée et programmée politiquement, permet de concevoir un projet ex-nihilo, dans les enceintes d’un Palais du Midi façadisé, sans plus aucun lien avec les usages actuels : un projet impossible à concevoir sans l’alibi du métro.

Démolir le Palais du Midi : une condamnation à perpétuité

Malgré le chantier destructeur qu’il subit depuis 4 ans (alors même qu’il avait fait l’objet d’une rénovation de ses espaces publics à la fin des années 2000 !), le quartier Stalingrad-Lemonnier est parvenu, jusqu’à aujourd’hui, à rester debout. Le maintien d’une vie dans le Palais du Midi y est certainement pour beaucoup. Plus de 5.000 usagers le fréquentent hebdomadairement : de par la concentration de ses activités éducatives, sportives et commerciales, c’est un pôle, populaire, du centre-ville. Sa démolition ne signifierait pas seulement la mort « temporaire » des activités sociales qu’il abrite mais rendrait aussi impossible leur futur retour. Exiger le maintien du Palais du Midi ne répond pas « qu’à » une vision patrimoniale, c’est aussi, et surtout, la condition sine qua non du maintien dans le quartier d’une vitalité urbaine, fruit de ceux le font vivre actuellement : c’est un acte anti-urbain et anti-social que de vouloir soustraire aux Bruxellois qui fréquentent le Palais du Midi leur droit d’y poursuivre leur vie.