Le monde tire la gueule, Immobel fait Lebeau

Le monde tire la gueule, Immobel fait Lebeau

Malgré de nouvelles évolutions, le projet d’Immobel ne répond toujours pas aux intérêts locaux, régionaux et globaux : trop de bureaux, trop de démolitions, trop de parkings, trop peu de logements (et toujours aucun logement abordable). Le programme doit être repensé pour offrir une plus grande mixité sociale et fonctionnelle et un meilleur environnement, tout en maintenant le bâti existant ; c’est dans cette perspective que l’ARAU propose d’y installer le Musée Juif de Belgique et de complétement supprimer le parking.

Le projet Lebeau est, pour la 3e fois, soumis à l’avis de la commission de concertation. Les deux premières versions (2020 et 2022) avaient rencontré de vives oppositions, tant de la part des riverains que des associations de défense de l’environnement urbain : gabarits trop hauts écrasant le quartier, parkings à foison promettant d’accroître le trafic, démolitions non justifiées et contraires aux objectifs de réduction d’émissions de CO2, absence de logements abordables, hôtel aggravant la touristification du centre-ville, etc. Les modifications apportées par Immobel entre 2020 et 2022, suite à des négociations pour le moins opaques avec les instances communales et régionales, n’avaient pas changé grand-chose : le 2e projet avait certes réduit le périmètre des démolitions mais aussi, de manière drastique, le nombre de logements (voir notre analyse du 19 septembre 2022 Projet Lebeau-Sablon : la promotion de l’effondrement). Bien que l’ampleur des démolitions ait à nouveau diminué, les nouvelles modifications apportées depuis lors par Immobel ne sont pas de nature à nous faire changer d’avis : le projet Lebeau n’est toujours pas à la hauteur.

Le périmètre des démolitions projetées

Disparition de l’hôtel au profit… de bureaux

En matière d’affectations, les modifications apportées sont les suivantes :

Le principal changement est la disparition de l’hôtel. Immobel justifie ce choix de la manière suivante : « pour pouvoir fonctionner de façon optimale, un hôtel (de la catégorie de celle visée par le projet et de par sa localisation) a besoin d’un certain nombre de chambres afin d’amortir les services connexes. Or, ce nombre de chambres ne pourra être atteint suite à la demande de la commission de concertation de supprimer 3 niveaux du bâtiment projeté. » (note explicative)
En effet, Immobel a suivi la demande formulée dans l’avis de la commission de concertation de 2022 et a « raboté » l’immeuble « Justice ».

La création d’un l’hôtel de 150 chambres, qui s’inscrivait dans un véritable « boom » de demandes de permis pour de telles affectations, aurait contribué à l’augmentation du risque de surtourisme qui pèse sur le centre-ville. Sa disparition est donc une avancée à saluer, hormis qu’elle laisse place… à près de 8.000 m² de bureaux. Entre la 1ère et la 3e version du projet Lebeau, les proportions entre bureaux et logements ont tout simplement été inversées ; les superficies des bureaux sont ainsi passées de 9.935 à 25.472 m² tandis que celles des logements ont drastiquement diminué, passant de 23.022 à 8.168 m² ! Alors que les besoins de bureaux sont à la baisse et que le stock de bureaux vides était déjà élevé dans le centre-ville avant la crise sanitaire (190.395 m² en 2020, d’après la dernière édition de l’observatoire des bureaux), maintenir autant de mètres carrés de bureaux dans le projet Lebeau n’a aucun sens. Un avis partagé par le Maître Architecte (BMA) :

 

la plupart des bâtiments sont conservés. Cependant, la conséquence de ces évolutions est que la mixité est fortement réduite puisque ce sont presque exclusivement des bureaux qui occuperont les bâtiments conservés. BMA regrette fortement cette conséquence

Immobel recycle le faux dilemme conservation du bâti vs logements

Pour justifier ce gonflement des superficies de bureaux dans l’immeuble « Justice », Immobel invoque, à nouveau, la contrainte du maintien des bâtiments. Déjà en 2020 et en 2022, le promoteur arguait que les bâtiments existants ne permettraient que très difficilement d’accueillir des logements. En réalité, ces « difficultés » relevaient bien plus d’arguments financiers que techniques (pour le détail, voir notre analyse de 2022). L’argumentaire développé par Immobel dans le cadre de sa 3e demande de permis est le même et son choix reste celui de la facilité (entendre rentabilité) : selon le promoteur, le maintien des bâtiments implique le maintien de la fonction bureaux, seule leur démolition-reconstruction permet la création de logements. Par ailleurs, Immobel n’entend en réalité conserver que 56 % du bâtiment « Justice » ; pourquoi n’avoir pas choisi de créer des logements dans les parties neuves ?

Un parking public pour « compenser » la suppression du stationnement sur la place du Grand Sablon ?

On entend régulièrement l’argument selon lequel la création d’un nouveau parking public à proximité de la place du Grand Sablon permettrait de « compenser » une suppression du stationnement en surface qui l’occupe actuellement. Comme nous le soulignions en 2020 et en 2022, cet argument ne tient pas la route : la capacité des parkings publics aux alentours est déjà plus que suffisante. Le dossier de demande de permis indique par ailleurs que les 109 emplacements publics du parking du projet Lebeau (sur un total de 160, 30 de moins que dans la version précédente) pourraient être entièrement dévolus à des abonnements bureaux : ce ne serait guère surprenant vu l’importante superficie de bureaux. Raison de plus pour définitivement tordre le cou à cet argument de la « compensation ». L’augmentation de l’offre de stationnement de 49 (situation actuelle) à 160 emplacements entrerait en totale contradiction avec le plan « Good Move Pentagone » mis en place par la Ville de Bruxelles il y a un an.

Maintenir le bâti et y développer un programme mixte avec bien plus de logements… et le Musée Juif de Belgique

Maintenir rénover le bâti, plutôt que démolir pour reconstruire du neuf, est un impératif écologique. L’analyse du cycle de vie des bâtiments, produite dans le dossier de 2022, montrait que la rénovation émettait bien moins de gaz à effet de serre que la démolition-reconstruction. Le complément de cette analyse, consacré à la nouvelle version du bâtiment « Justice », le confirme : bien que seuls 56 % du bâtiment sont maintenus, les émissions de CO2 sont évaluées à 28 % de moins que dans l’option démolition-reconstruction totale. Contrairement au faux dilemme exposé par Immobel, ce maintien est compatible avec une affectation en logements. L’ARAU réitère donc la demande formulée en 2020 et 2022 : Immobel doit produire bien plus de logements, mais surtout des logements abordables !

Le projet Lebeau gagnerait aussi en mixité en accueillant d’autres fonctions, comme par exemple une fonction culturelle. Heureux hasard, le Musée Juif de Belgique, situé à deux pas (rue des Minimes 21) cherche à s’agrandir. Malheureusement, l’option jusqu’à présent retenue pour cet agrandissement est celle d’une démolition-reconstruction, accompagnée d’une rehausse. Pourquoi ne pas installer le Musée Juif de Belgique au sein du projet Lebeau, où il pourrait certainement trouver des espaces convenant parfaitement à une activité muséale ? Dans le même temps, le bâtiment actuellement occupé par le musée pourrait être facilement converti en logements. Ce type d’opération « win-win » n’a rien d’une utopie ! Même si le permis de démolition-reconstruction du Musée Juif de Belgique a déjà été délivré, il est encore temps d’éviter ce non-sens en suivant le bon exemple du projet de campus de la KUL, rue du Marais, où une opération de démolition-reconstruction était envisagée avant que ne soit trouvée une bien meilleure solution par un « échange » de propriétés avec Belfius.

Conclusion : une nécessaire prise de hauteur politique

La pertinence d’un projet immobilier ne peut se juger à sa seule échelle ; il s’agit de prendre en compte l’ensemble des contextes (locaux, régionaux et globaux) : la tâche n’est pas toujours aisée et des contradictions peuvent émerger (la présence d’un hôtel dans un projet immobilier peut, par exemple, se montrer pertinente en matière de mixité et d’animation à un niveau local, mais, au contraire, se révéler néfaste à une échelle plus large). Le rôle des responsables politiques, soutenus par les administrations, est de trancher en fonction d’un intérêt général, pas d’épouser le point de vue d’un acteur particulier (ici un promoteur immobilier). Malgré ses évolutions, le projet Lebeau ne répond toujours pas aux enjeux actuels : la ville manque de logements abordables, Immobel n’en propose aucun ; la ville a un trop-plein de bureaux, Immobel en propose plus de 25.000 m² ; la ville souffre de la domination de la voiture, Immobel propose d’ajouter 111 places de parking ; la ville doit baisser ses émissions de CO2, Immobel propose des démolitions-reconstructions énergivores… Face à l’ampleur des défis locaux (crise du logement, dégradation de l’environnement par la domination automobile) et globaux (réchauffement climatique), chaque acte posé (ici la délivrance, ou non, d’un permis) doit contribuer. Les politiques de « compensation » (on construira du logement abordable ailleurs, on supprimera des places de parking ailleurs, on baissera les émissions de gaz à effet de serre ailleurs) ne sont plus admissibles. La Région doit prendre ses responsabilités et exiger d’Immobel une 4e version de son projet Lebeau.